Numéro 158 : Parler du peuple sert-il encore à quelque chose ?
Il y a trois ans, le cardinal Jozef De Kesel, archevêque de Malines- Bruxelles, avait publié un livre intitulé Foi et religion dans une société moderne[1]. À la suite de quoi il fut notamment interrogé sur Radio Vatican[2]. « C’est clair que dans une culture religieuse chrétienne, il n’y avait pas de vraie liberté religieuse. La foi n’est alors pas l’option de la personne, mais c’est la culture en tant que telle qui prend cette option. […] Donc la liberté religieuse, c’est un fruit de la modernité. » Le propos est verbal et spontané, mais il traduit une conception banalisée depuis le début des temps conciliaires : la civilisation chrétienne, tant célébrée dans les discours pontificaux, n’appuyait pas la foi intérieure des croyants, elle ne formait qu’un carcan externe et trompeur dont la privatisation contemporaine de la religion l’a libérée. Nous sommes maintenant à une année de la célébration du centenaire de l’encyclique Quas primas, de Pie XI, qui proclamait, face à un monde prêt à basculer dans l’autodestruction, la primauté de la royauté sociale du Christ. À l’époque, le milieu ecclésiastique témoignait contre le laïcisme et ses conséquences sociopolitiques, et contre les totalitarismes.
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Jacques Henry : Du pouvoir des entreprises à la re-politisation de la cité
On a dit bien des choses sur les trois pouvoirs de Montesquieu. La plus importante est peut-être qu’ils sont aujourd’hui à reléguer au second rang. Ce sont les entreprises qui façonnent et structurent nos sociétés. Dans ce contexte, Sohrab Ahmari signe un essai bienvenu, Tyrannie and Co. Les grandes entreprises contre la liberté[1]. Américain né en Iran, l’auteur « appartient à un milieu de penseurs catholiques, critiques des orientations libérales du mouvement conservateur, qui appellent à une application actualisée des principes de la doctrine sociale catholique » (4e de couverture). Son ouvrage vise un double objectif (p. 29) : montrer « comment nous avons perdu notre capacité à discerner la tyrannie privée » et proposer une « grande visite de notre système, en marquant des arrêts dans les espaces de travail, devant les contrats de travail, au tribunal, dans les fonds d’investissement, dans le système des retraites, les salles de rédaction et les processus de faillite ». Il met en lumière « l’incapacité à soumettre le marché à des contrôles politiques et à des concessions démocratiques » et que cela « a mis en péril la vie de millions d’Américains ordinaires tout en nuisant à notre économie et au bien commun ». (suite…)
Dom Giulio Meiattini : Autour des « formes liturgiques ». Quelques réflexions du cardinal Newman
La vie de l’Église, au cours des dernières décennies, a été traversée par un débat très intense sur le renouvellement des « formes » : dans le langage théologique, dans la liturgie, dans la proclamation de l’Évangile, dans la manière de s’adresser au monde contemporain. C’était d’ailleurs l’objectif principal que le pape Jean XXIII avait assigné au Concile Vatican II, comme le pontife l’avait exprimé dans le discours d’ouverture de l’assemblée conciliaire : « Ce qui intéresse le plus le Concile, c’est que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit conservé et enseigné sous une forme plus efficace. Car une chose est le dépôt de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et une autre est la manière dont elles sont proclamées, mais toujours dans le même sens et la même signification. […] Il faudra donc adopter la forme d’exposition qui correspond le mieux au Magistère, dont la nature est principalement pastorale[1]. » (suite…)
La Rédaction : François Hou, Chapitres et société en Révolution (lecture)
L’histoire de la Révolution ne déchaîne plus les discussions passionnées d’il y a quelques décennies encore. D’aucuns y verront les progrès, dans le public, d’une compréhension plus équanime de la période. Il nous chagrinerait que ce soit plutôt l’ignorance qui fasse son œuvre. Car ce serait dommage : la période a encore beaucoup à nous apprendre. Témoin l’ouvrage majeur*, tiré d’une thèse, écrite par un normalien qui a soutenu en 2019 à l’université Paris‑I sous la direction de Philippe Boutry, spécialiste de l’histoire religieuse du XIXe siècle. L’auteur, François Hou, a mené des recherches d’archives titanesques pour reconstituer le destin, avant et après la révolution, des chanoines d’une douzaine de diocèses français, choisis pour représenter toute la diversité de la France en termes de ferveur, de sociologie, de politique, etc.
La première partie reconstitue tout le débat de l’époque autour de l’institution du chapitre, ce « sénat de l’Église » (Concile de Trente), « conseil-né » de l’évêque, qui n’en a pas moins un pouvoir monarchique. La période considérée est le moment d’un débat ecclésiologique majeur et de sa résolution – thème qu’avait étudié, en son temps, l’abbé Plongeron. La rupture politique vient radicaliser les idées et surtout les forcer à passer à l’acte, c’est-à-dire à se confronter aux faits. (suite…)
Père Serafino Maria Lanzetta : Le Synode et la méthode pastorale (partie 3)
Avec la déclaration Fiducia supplicans (FS) du 18 décembre 2023, le Dicastère pour la Doctrine de la Foi, avec une certaine précipitation par rapport aux récents résultats du Synode, a demandé au pape François, ex audientia, d’approuver de nouvelles bénédictions, créées ad hoc « pour les couples en situation irrégulière » et « pour les couples de même sexe ». Dans les deux cas l’accent est mis sur le « couple ». Pour placer cela au niveau du principe, et ainsi en justifier moralement les actes, on tente de séparer l’aspect liturgique de la bénédiction d’un aspect antécédent, « théologique » mais non rituel. Avec quels résultats ? (suite…)