Numéro 159 : Face à la sécularisation
Dans les sociétés occidentales réputées avancées, l’administration des choses a depuis longtemps succédé au gouvernement des hommes, ce que traduit communément le terme de « gouvernance », issu des sciences de gestion, pour désigner toute forme d’organisation pratique d’un groupe, notamment politique, disqualifiant toute interrogation sur sa finalité. Le gouvernement n’est ainsi considéré qu’en tant que technique permettant d’obtenir, de la part de destinataires, une exécution qu’on ne qualifie plus d’obéissance, à des mesures qui ne doivent plus être des actes d’autorité. L’évolution est aussi ancienne que le saint-simonisme, mais les outils mis à disposition de la gouvernance ne cessent de se perfectionner.
Popularisée surtout après que l’un de ses principaux concepteurs, Richard H. Thaler, a obtenu le prix Nobel en 1997, l’économie comportementale irrigue désormais fortement les organisations publiques, y compris (et peut-être désormais surtout) de ce côté-ci de l’Atlantique.
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Dom Giulio Meiattini : Déconstruction de la famille. Un exemple de sophisme argumentatif
Depuis quelque temps, le thème de la famille est au centre de discussions et d’études, de controverses politiques passionnées et d’informations dramatiques. Sur la vague de ces débats scientifiques et de ces études approfondies, de pressions culturelles, et souvent de manipulations médiatiques, l’affirmation selon laquelle il n’existe pas de type de famille unique ou naturelle devient de plus en plus fréquente, dans la mesure où les modèles de l’institution familiale, les images mentales et les réalisations culturelles qui s’y rapportent sont multiples, à la fois diachroniques et géographiquement synchrones, et continuent de changer, à un rythme accéléré, dans diverses parties du monde.
À partir de prémisses empiriques (fournies par la sociologie, l’anthropologie culturelle, l’histoire), on conclut que les réalités désignées chaque fois par le terme « famille » seraient tellement hétérogènes que l’usage du singulier pour les désigner serait inapproprié. Seules des « familles », au pluriel, existeraient, ou encore ce que l’on appelle « famille », si l’on veut, se présenterait sous des formes si nombreuses et si variées qu’il serait impossible de la réduire à une idée unique et de validité universelle. (suite…)
Jacques Henry : Du pouvoir des entreprises à la re-politisation de la cité
On a dit bien des choses sur les trois pouvoirs de Montesquieu. La plus importante est peut-être qu’ils sont aujourd’hui à reléguer au second rang. Ce sont les entreprises qui façonnent et structurent nos sociétés. Dans ce contexte, Sohrab Ahmari signe un essai bienvenu, Tyrannie and Co. Les grandes entreprises contre la liberté[1]. Américain né en Iran, l’auteur « appartient à un milieu de penseurs catholiques, critiques des orientations libérales du mouvement conservateur, qui appellent à une application actualisée des principes de la doctrine sociale catholique » (4e de couverture). Son ouvrage vise un double objectif (p. 29) : montrer « comment nous avons perdu notre capacité à discerner la tyrannie privée » et proposer une « grande visite de notre système, en marquant des arrêts dans les espaces de travail, devant les contrats de travail, au tribunal, dans les fonds d’investissement, dans le système des retraites, les salles de rédaction et les processus de faillite ». Il met en lumière « l’incapacité à soumettre le marché à des contrôles politiques et à des concessions démocratiques » et que cela « a mis en péril la vie de millions d’Américains ordinaires tout en nuisant à notre économie et au bien commun ». (suite…)
Dom Giulio Meiattini : Autour des « formes liturgiques ». Quelques réflexions du cardinal Newman
La vie de l’Église, au cours des dernières décennies, a été traversée par un débat très intense sur le renouvellement des « formes » : dans le langage théologique, dans la liturgie, dans la proclamation de l’Évangile, dans la manière de s’adresser au monde contemporain. C’était d’ailleurs l’objectif principal que le pape Jean XXIII avait assigné au Concile Vatican II, comme le pontife l’avait exprimé dans le discours d’ouverture de l’assemblée conciliaire : « Ce qui intéresse le plus le Concile, c’est que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit conservé et enseigné sous une forme plus efficace. Car une chose est le dépôt de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et une autre est la manière dont elles sont proclamées, mais toujours dans le même sens et la même signification. […] Il faudra donc adopter la forme d’exposition qui correspond le mieux au Magistère, dont la nature est principalement pastorale[1]. » (suite…)
La Rédaction : François Hou, Chapitres et société en Révolution (lecture)
L’histoire de la Révolution ne déchaîne plus les discussions passionnées d’il y a quelques décennies encore. D’aucuns y verront les progrès, dans le public, d’une compréhension plus équanime de la période. Il nous chagrinerait que ce soit plutôt l’ignorance qui fasse son œuvre. Car ce serait dommage : la période a encore beaucoup à nous apprendre. Témoin l’ouvrage majeur*, tiré d’une thèse, écrite par un normalien qui a soutenu en 2019 à l’université Paris‑I sous la direction de Philippe Boutry, spécialiste de l’histoire religieuse du XIXe siècle. L’auteur, François Hou, a mené des recherches d’archives titanesques pour reconstituer le destin, avant et après la révolution, des chanoines d’une douzaine de diocèses français, choisis pour représenter toute la diversité de la France en termes de ferveur, de sociologie, de politique, etc.
La première partie reconstitue tout le débat de l’époque autour de l’institution du chapitre, ce « sénat de l’Église » (Concile de Trente), « conseil-né » de l’évêque, qui n’en a pas moins un pouvoir monarchique. La période considérée est le moment d’un débat ecclésiologique majeur et de sa résolution – thème qu’avait étudié, en son temps, l’abbé Plongeron. La rupture politique vient radicaliser les idées et surtout les forcer à passer à l’acte, c’est-à-dire à se confronter aux faits. (suite…)