Des intentions claires
La finalité que poursuit notre revue doit apparaître clairement à ses lecteurs. Pour la préciser, il faut dire qu’elle constitue une réponse, sans doute partielle et immédiate, mais une réponse tout de même, à la situation de l’Eglise aujourd’hui.
A prendre absolument, le concept même de situation de l’Eglise est impossible à appréhender. On ne peut pas rendre raison du mystère, et l’Eglise est un mystère. Il faut donc restreindre la notion à son sens analogique : la situation actuelle de l’Eglise, c’est l’état dans lequel se trouve sa partie visible, la partie humaine de la réalité humano‑divine qui la constitue. Et encore ne peut‑il s’agir de tout cet aspect, si complexe, si difficile à saisir dans le détail de ses évolutions et des singularités qui le composent. Par situation actuelle de l’Eglise, entendons les grandes tendances institutionnelles, les mouvements collectifs, dans la mesure où ils s’expriment clairement, ou du moins dans la mesure où ils sont discernables.
Cependant, cette manière de considérer les choses ne saurait se ranger dans une catégorie purement naturelle. II ne s’agit pas de sociologie : il faut se souvenir qu’il incombe au chrétien de chercher à comprendre les signes des temps (Mt. 16, 3), porter sur la réalité visible un regard rectifié par l’intelligence de la foi et le don du Saint-Esprit qui lui correspond. De cette façon, la situation historique de l’Eglise prend un sens appréhensible par l’esprit.
Vatican II constitue l’événement fondateur de la période que nous vivons. Depuis 1965, de grands changements sont intervenus à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Eglise, une crise longtemps niée, aujourd’hui reconnue ‑ a accentué la portée de ces changements, et le monde catholique s’est trouvé ébranlé. Après une longue phase d’euphorie entretenue, et une sorte d’inertie assurant au mouvement conciliaire une inexorable fuite en avant, nous sommes entrés dans une ère nouvelle, plus incertaine, mais permettant réellement de poser les questions de fond. Un changement de génération a eu lieu : les blocages conciliaires ont moins de portée qu’auparavant, les clivages se modifient, les assurances se débilitent, et surtout le langage dominant jusque‑là perd de sa puissance culturelle. Vu de la sorte, le Synode de 1985 et son message final apparaissent comme le chant du cygne d’une idéologie qui perd sa crédibilité. Finalement, ce que seuls certains experts connaissaient par expérience personnelle devient actuellement évidence : dans une large mesure, le Concile aura été comme un immense agrégat de courants d’idées, et sous ce rapport, un phénomène totalement inédit dans l’histoire de l’Eglise. Chaque schéma représentait par lui‑même une sorte de mosaïque de tendances, et les textes finalement adoptés gardent la trace de ces apports particuliers, même si, pour les besoins de la synthèse, ils Ont fait l’objet d’un polissage de surface. Les suites du Concile, jusqu’à aujourd’hui, manifestent avec éclat le poids de ce caractère composite.
Or, le temps, avec les exigences qu’il impose d’un retour aux réalités, a tendance à accuser le vieillissement d’édifices de ce genre : les difficultés disciplinaires, les tendances hétérodoxes, les déviations puisent aux mêmes références la source de leur diversité. Quoi qu’il en soit de la valeur objective de Vatican II, nul ne saurait nier sans malhonnêteté cette réalité.
Notre propos est d’aider à faire éclater la vérité malgré les résistances qui voudraient la masquer ou l’édulcorer, de faire prendre conscience de la faiblesse de ce qui a été édifié depuis plus de vingt ans. Mais comme cet édifice est d’abord une réalité d’ordre intellectuel, il s’agit principalement d’expliquer, de faire œuvre pédagogique.
Ce travail est une forme d’apostolat au service de l’Eglise, un apostolat de la vérité. Cependant, nous nous empresserons d’ajouter deux précisions pour que notre tentative ne puisse être regardée comme d’une folle témérité. Ce que nous voulons, c’est que les réalités tues jusqu’à maintenant puissent enfin être amenées à la surface, surtout dans les matières fondamentales qui commandent le reste (le dogme en particulier). Par ailleurs, c’est la seconde précision, notre référence ultime n’est pas notre opinion propre, mais, au moins dans notre intention, la doctrine de l’Eglise : c’est elle qui doit constituer le point de référence, connu et connaissable de tous. Par principe, nous voulons nous garder des opinons aventureuses ou même de jugements douteusement rendus par le magistère, sachant bien trop comment de la moindre équivoque peuvent sortir les certitudes assénées les plus opposées. C’est justement de la lassitude des positions partiales qu’est issue notre résolution d’aller au fond des choses, et d’y provoquer inlassablement toute la catholica.