La messa è finita
Un film italien, dû à un réalisateur peu connu, Nanni Moretti, est sorti dans les salles parisiennes au cours du mois de janvier dernier, sous le titre, transposé de l’original, La messe est finie. Ce film a obtenu une distinction importante, l’Ours d’Argent du Festival de Berlin, en 1986.
Les critiques ont vu dans cette production une chance pour le cinéma italien, en crise aiguë ces dernières années. Ils ont longuement disséqué plans et contre-plans, sens psychanalytique caché, et autres éléments plus ou moins intéressants, comme ils ont coutume de le faire. En fait, ce film, sans être un chef-d’œuvre de réalisation, est un honnête travail d’auteur, assez riche d’humour sarcastique et désabusé pour rappeler les bonnes traditions de la péninsule.
Son intérêt réside surtout dans ce qu’il décrit, bien que cette description soit limitée à la source par le regard froid d’un auteur qui n’a pas la foi. L’histoire est celle d’un prêtre jeune qui, après dix ans de ministère dans une petite île aux traditions chaleureuses, se retrouve à Rome, sa ville natale. Dans la paroisse de banlieue qui lui est confiée, tout est à l’abandon. L’ancien curé vit en ménage avec son enfant, de l’autre côté de la rue. Quant à la famille du jeune prêtre, elle n’est guère en meilleur état : le père quitte le foyer pour rejoindre une amie de sa fille, d’où le suicide de la mère. Quant à la sueur du prêtre, elle veut avorter. Les amis ne valent pas mieux : un ancien terroriste qui fréquente des voyous, un autre qui vit prostré depuis un amour déçu. Un seul, plus âgé, manifeste un attrait pour la religion, et voudrait devenir prêtre.
Le monde extérieur n’est pas plus enthousiasmant. La fréquentation religieuse est plus sociologique que jamais : baptêmes, enterrements, mariages, tout revêt une allure purement administrative. Les gens ne s’intéressent qu’à eux. Quant aux offices du dimanche, c’est la passivité. Même la confession, qui est toujours pratiquée, devient un geste sans valeur, en raison du manque de contrition exprimée par les pénitents.
L’attitude du prêtre est celle de la démission, d’autant plus accentuée que tous ses efforts pour secouer ses ouailles sont autant de brusqueries et de maladresses. II n’aime pas ce monde corrompu dans son égoïsme, mais il ne sait pas comment s’y prendre pour transpercer le mur. Finalement, il prend la fuite. Un missionnaire de Patagonie lui en avait suggéré l’idée : il vivait dans un pays où le vent souffle très fort au point que l’on doit arrimer l’église pour qu’elle ne soit pas emportée. Mais on tient compagnie aux gens, ce qui est déjà quelque chose. Tout un symbole !
Nanni Moretti dit avoir voulu simplement donner une image de la société actuelle, faisant en quelque sorte œuvre de sociologue. II voit ainsi son époque : “Je crois que c’est là une génération qui plus que les autres a pris en compte la réalité : soit en cherchant à rester soi même parmi mille obstacles et mille difficultés, soit en réagissant en arriviste avec un certain cynisme par‑ci par‑là. Il me semble que des solutions à ce point radicales des personnages du film ne représentent pas la norme”. Une caricature, donc, dans un but pédagogique, ou par fantaisie.
Mais le fond de l’affaire est sérieux. La société est devenue dans sa majorité hermétique à la religion vraie. Et quand le fait religieux est admis, il est plutôt reçu comme un appendice de la personnalité que comme une donnée fondamentale et première de la vie entière. Le prêtre défroqué n’est pas hostile à la religion : il cherche seulement le bonheur sur terre (en pantoufles). L’ami qui voudrait être prêtre ne semble pas avoir le désir de s’insérer dans l’Eglise, mais plutôt de chercher son épanouissement. Et si le prêtre laisse indifférent, c’est que les gens ne comprennent plus sa fonction. II n’est au mieux qu’un assistant social utile en certaines circonstances. Mais il n’est plus respecté : les enfants jouant au ballon le renversent et ne se soucient pas de l’aider à se relever. Quand il fait une instruction de préparation au mariage, il fait rire sans retenue. Son honneur sacerdotal est resté sur l’ile ‑ un symbole ‑ quittée au début du film. La seule lacune de taille de Nanni Moretti est qu’il participe lui‑même du mal qu’il décrit. II n’est ni pour ni contre la religion, et ne comprend rien à la question. Son prêtre, revêtu d’une soutane et officiant, n’est pas un prêtre de l’Eglise de Jésus‑Christ, un bon pasteur qui donne sa vie pour ses brebis. D’abord il se met souvent en colère, comme par dépit, à l’encontre des fidèles. Ensuite, il dés espère et ne croit plus en rien. Le film se termine sur une scène dérisoire, la célébration d’un mariage coïncidant avec l’annonce par le prêtre de son départ au loin. Les assistants se mettent à danser en pleine église, sur un air langoureux, sous le sourire désabusé de leur pasteur défaillant.
La réalité est‑elle meilleure, ou pire que celle que décrit le film ? Le prêtre célèbre “face au peuple”, mais dans une église vide ! Vingt ans après Vatican II, on parle beaucoup de “nouvelle évangélisation”. La grâce est toujours à l’œuvre c’est en cela que la réalité est meilleure. Mais la destruction est réelle, et les situations qu’a filmées Nanni Moretti se multiplient sous toutes les latitudes, surtout dans les pays occidentalisés (mais qui ne l’est pas ?). Et en cela, elle est pire.
La messa è finita met en scène à plusieurs reprises des enfants. Mais eux aussi, victimes de leurs parents, tombent tôt dans le narcissisme. Peut‑être serait‑ce là la solution véritable : “Si vous ne redevenez pareils à de petits enfants…” (Mt 18, 3). Les premiers visés sont ceux qui ont charge d’âmes.