Revue de réflexion politique et religieuse.

La mes­sa è fini­ta

Article publié le 21 Sep 1987 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Un film ita­lien, dû à un réa­li­sa­teur peu connu, Nan­ni Moret­ti, est sor­ti dans les salles pari­siennes au cours du mois de jan­vier der­nier, sous le titre, trans­po­sé de l’o­ri­gi­nal, La messe est finie. Ce film a obte­nu une dis­tinc­tion impor­tante, l’Ours d’Argent du Fes­ti­val de Ber­lin, en 1986.

Les cri­tiques ont vu dans cette pro­duc­tion une chance pour le ciné­ma ita­lien, en crise aiguë ces der­nières années. Ils ont lon­gue­ment dis­sé­qué plans et contre-plans, sens psy­cha­na­ly­tique caché, et autres élé­ments plus ou moins inté­res­sants, comme ils ont cou­tume de le faire. En fait, ce film, sans être un chef-d’œuvre de réa­li­sa­tion, est un hon­nête tra­vail d’au­teur, assez riche d’hu­mour sar­cas­tique et désa­bu­sé pour rap­pe­ler les bonnes tra­di­tions de la pénin­sule.

Son inté­rêt réside sur­tout dans ce qu’il décrit, bien que cette des­crip­tion soit limi­tée à la source par le regard froid d’un auteur qui n’a pas la foi. L’his­toire est celle d’un prêtre jeune qui, après dix ans de minis­tère dans une petite île aux tra­di­tions cha­leu­reuses, se retrouve à Rome, sa ville natale. Dans la paroisse de ban­lieue qui lui est confiée, tout est à l’a­ban­don. L’an­cien curé vit en ménage avec son enfant, de l’autre côté de la rue. Quant à la famille du jeune prêtre, elle n’est guère en meilleur état : le père quitte le foyer pour rejoindre une amie de sa fille, d’où le sui­cide de la mère. Quant à la sueur du prêtre, elle veut avor­ter. Les amis ne valent pas mieux : un ancien ­ter­ro­riste qui fré­quente des voyous, un autre qui vit pros­tré depuis un amour déçu. Un seul, plus âgé, mani­feste un attrait pour la reli­gion, et vou­drait deve­nir prêtre.

Le monde exté­rieur n’est pas plus enthou­sias­mant. La fré­quen­ta­tion reli­gieuse est plus socio­lo­gique que jamais : bap­têmes, enter­re­ments, mariages, tout revêt une allure pure­ment admi­nis­tra­tive. Les gens ne s’in­té­ressent qu’à eux. Quant aux offices du dimanche, c’est la pas­si­vi­té. Même la confes­sion, qui est tou­jours pra­ti­quée, devient un geste sans valeur, en rai­son du manque de contri­tion expri­mée par les péni­tents.

L’at­ti­tude du prêtre est celle de la démis­sion, d’au­tant plus accen­tuée que tous ses efforts pour secouer ses ouailles sont autant de brus­que­ries et de mal­adresses. II n’aime pas ce monde cor­rom­pu dans son égoïsme, mais il ne sait pas com­ment s’y prendre pour trans­per­cer le mur. Fina­le­ment, il prend la fuite. Un mis­sion­naire de Pata­go­nie lui en avait sug­gé­ré l’i­dée : il vivait dans un pays où le vent souffle très fort au point que l’on doit arri­mer l’é­glise pour qu’elle ne soit pas empor­tée. Mais on tient com­pa­gnie aux gens, ce qui est déjà quelque chose. Tout un sym­bole !

Nan­ni Moret­ti dit avoir vou­lu sim­ple­ment don­ner une image de la socié­té actuelle, fai­sant en quelque sorte œuvre de socio­logue. II voit ain­si son époque : “Je crois que c’est là une géné­ra­tion qui plus que les autres a pris en compte la réa­li­té : soit en cher­chant à res­ter soi même par­mi mille obs­tacles et mille dif­fi­cul­tés, soit en réagis­sant en arri­viste avec un cer­tain cynisme par‑ci par‑là. Il me semble que des solu­tions à ce point radi­cales des per­son­nages du film ne repré­sentent pas la norme”. Une cari­ca­ture, donc, dans un but péda­go­gique, ou par fan­tai­sie.

Mais le fond de l’af­faire est sérieux. La socié­té est deve­nue dans sa majo­ri­té her­mé­tique à la reli­gion vraie. Et quand le fait reli­gieux est admis, il est plu­tôt reçu comme un appen­dice de la per­son­na­li­té que comme une don­née fon­da­men­tale et pre­mière de la vie entière. Le prêtre défro­qué n’est pas hos­tile à la reli­gion : il cherche seule­ment le bon­heur sur terre (en pan­toufles). L’a­mi qui vou­drait être prêtre ne semble pas avoir le désir de s’in­sé­rer dans l’E­glise, mais plu­tôt de cher­cher son épa­nouis­se­ment. Et si le prêtre laisse indif­fé­rent, c’est que les gens ne com­prennent plus sa fonc­tion. II n’est au mieux qu’un assis­tant social utile en cer­taines cir­cons­tances. Mais il n’est plus res­pec­té : les enfants jouant au bal­lon le ren­versent et ne se sou­cient pas de l’ai­der à se rele­ver. Quand il fait une ins­truc­tion de pré­pa­ra­tion au mariage, il fait rire sans rete­nue. Son hon­neur sacer­do­tal est res­té sur l’ile ‑ un sym­bole ‑ quit­tée au début du film. La seule lacune de taille de Nan­ni Moret­ti est qu’il par­ti­cipe lui‑même du mal qu’il décrit. II n’est ni pour ni contre la reli­gion, et ne com­prend rien à la ques­tion. Son prêtre, revê­tu d’une sou­tane et offi­ciant, n’est pas un prêtre de l’E­glise de Jésus‑Christ, un bon pas­teur qui donne sa vie pour ses bre­bis. D’a­bord il se met sou­vent en colère, comme par dépit, à l’en­contre des fidèles. Ensuite, il dés espère et ne croit plus en rien. Le film se ter­mine sur une scène déri­soire, la célé­bra­tion d’un mariage coïn­ci­dant avec l’an­nonce par le prêtre de son départ au loin. Les assis­tants se mettent à dan­ser en pleine église, sur un air lan­gou­reux, sous le sou­rire désa­bu­sé de leur pas­teur défaillant.

La réa­li­té est‑elle meilleure, ou pire que celle que décrit le film ? Le prêtre célèbre “face au peuple”, mais dans une église vide ! Vingt ans après Vati­can II, on parle beau­coup de “nou­velle évan­gé­li­sa­tion”. La grâce est tou­jours à l’œuvre c’est en cela que la réa­li­té est meilleure. Mais la des­truc­tion est réelle, et les situa­tions qu’a fil­mées Nan­ni Moret­ti se mul­ti­plient sous toutes les lati­tudes, sur­tout dans les pays occi­den­ta­li­sés (mais qui ne l’est pas ?). Et en cela, elle est pire.

La mes­sa è fini­ta met en scène à plu­sieurs reprises des enfants. Mais eux aus­si, vic­times de leurs parents, tombent tôt dans le nar­cis­sisme. Peut‑être serait‑ce là la solu­tion véri­table : “Si vous ne rede­ve­nez pareils à de petits enfants…” (Mt 18, 3). Les pre­miers visés sont ceux qui ont charge d’âmes.

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