Revue de réflexion politique et religieuse.

Bana­li­sa­tion de la poli­tique fran­çaise

Article publié le 13 Mar 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Régis Debray, l’an­cien com­pa­gnon de route des gué­rille­ros boli­viens, est deve­nu depuis son assa­gis­se­ment un conseiller écou­té du pré­sident Mit­ter­rand. Il vient de lui adres­ser une sorte de lettre ouverte pleine de dou­leur, d’a­bord inti­tu­lée In memo­riam, mais fina­le­ment rebap­ti­sée Que vive la Répu­blique (( Edi­tions Odile Jacob, jan­vier 1989.  )) La suc­ces­sion de ces deux titres fait d’emblée connaître le conte­nu. Régis Debray est triste, car la Répu­blique n’est plus aimée (il se sou­vient du peu de suc­cès qu’a­vait ren­con­tré la ten­ta­tive de J.-J. Che­vè­ne­ment, lors­qu’il avait vou­lu, il y a quelques années déjà, rame­ner quelque fer­veur pour les Grands Ancêtres). Son pam­phlet très décou­su est sans doute à l’i­mage du désar­roi qui l’ha­bite. Régis Debray règle des comptes : avec Fran­çois Furet à qui il reproche d’a­voir bri­sé la ver­sion de l’his­toire sur laquelle repo­sait jusque-là le mythe fon­da­teur de la Répu­blique ; avec aus­si tous ceux qui, méchants émi­grés revan­chards, applau­dissent depuis ” Coblentz-sur-Seine ” à cette ouver­ture. La vieille garde se sent dépas­sée. Elle grogne contre les retours de flamme et découvre à ses dépens que l’ul­tra-moder­ni­té, avec son dépé­ris­se­ment de tout idéal, n’est que le salaire de l’op­tion déli­bé­rée pour le bien-être à n’im­porte quel prix. Ain­si des choix gaul­liens, ou de la libé­ra­tion soixante-hui­tarde… D’au­cuns par­le­raient plu­tôt d’au­to­des­truc­tion bien méri­tée. L’ob­jec­tif que pour­suit Régis Debray est de lan­cer un appel au res­sai­sis­se­ment. Pense-t-il pou­voir être enten­du au-delà du cercle res­treint des amis du mys­té­rieux Club des Sept auquel il dédie ses pages ? Oui. Et son espoir repose sur les non-diplô­més, les ” sim­plets, les incon­nus, les mar­gi­naux ” qui vont ” s’exi­ler des sur­faces pour ne pas mou­rir “. Le salut de l’i­dée répu­bli­caine pas­se­rait-t-il donc par l’obs­cu­ri­té des der­nières arrières-loges ? Régis Debray s’ir­rite de voir les médias accor­der une large place aux efforts de Fran­çois Furet ” et de ses chantres ” qui veulent repen­ser la Révo­lu­tion dans d’autres termes que ceux de l’an­cienne pro­pa­gande offi­cielle. Son pam­phlet est d’ailleurs, à mots à peine cou­verts, une réponse à La Répu­blique du Centre (( Fran­çois Furet, Jacques Jul­liard, Pierre Rosan­val­lon, La Répu­blique du Centre, Cal­mann-Lévy, sep­tembre 1988. C’est dans ce livre que l’on trouve la for­mule nous ser­vant de titre : ” Ne jouons pas sur les mots : dès main­te­nant, le bicen­te­naire de 1789 nous appa­raît comme le lin­ceul d’une tra­di­tion ” (p. 10) ))  et à son sous-titre, ” La fin de l’ex­cep­tion fran­çaise “, qui l’ir­rite tout par­ti­cu­liè­re­ment. Pour lui en effet, ” la Répu­blique n’est pas un régime poli­tique par­mi d’autres. C’est un idéal et un com­bat “. Ain­si appa­raît la véri­table ques­tion : la Répu­blique, c’est-à-dire le régime issu de la Révo­lu­tion fran­çaise, est-elle un régime poli­tique par­ti­cu­lier, ou bien plus que cela, une véri­table concep­tion géné­rale du monde ?

La Répu­blique du Centre ne se situe pas sur le même rang polé­mique. Ce livre col­lec­tif ras­semble des expo­sés sépa­rés, mais proches par leurs thèmes, et dont le trait com­mun est de prendre acte, sur un mode ana­ly­tique, du dépé­ris­se­ment des idéo­lo­gies dures du temps pré­cé­dent, et des consé­quences poli­tiques pra­tiques de ce dépé­ris­se­ment. Les grands cou­rants de pen­sée clas­siques se sont effon­drés, le jaco­bi­nisme est aus­si mori­bond que le mar­xisme : que reste-t-il alors, ou plu­tôt, que peut-il res­ter comme prin­cipe de réfé­rence à la démo­cra­tie post-moderne ? Jacques Jul­liard, l’un des trois auteurs du livre contes­té, a bien vou­lu nous éclai­rer sur ces inter­ro­ga­tions vitales. Jacques Jul­liard est pro­fes­seur à l’E­cole des Hautes études en sciences sociales.Dans un ouvrage anté­rieur, La faute à Rous­seau (Seuil, 1985) il posait déjà cer­taines ques­tions de fond sur le même sujet.

Catho­li­ca — Dans La Répu­blique du centre, vous décri­vez ce que vous appe­lez ” le grand tour­nant de la gauche “. Pou­vez vous nous en don­ner les grandes lignes ?

Jacques Jul­liard : Sous le titre La faute à Rous­seau, j’a­vais publié un livre qui s’ef­for­çait de faire le point sur la crise de la gauche. Cette crise qui n’est pas nou­velle, conjugue en fait trois crises anté­rieures.

En pre­mier lieu, il nous faut dis­tin­guer les dif­fé­rentes com­po­santes de la gauche. Elles sont au nombre de trois. Il y a la tra­di­tion com­mu­niste, la tra­di­tion social-démo­crate et la tra­di­tion gau­chiste. Ces tra­di­tions existent depuis bien long­temps. La tra­di­tion com­mu­niste remonte non pas à 1920 mais à la Révo­lu­tion fran­çaise. Il y a donc un héri­tage que les com­mu­nistes ont en par­tie repris. Historiquement,la tra­di­tion social-démo­crate anime de son côté une bonne par­tie du socia­lisme fran­çais… avant même que les mots ne viennent figer les choses. Quant au gau­chisme, il date aus­si de la Révo­lu­tion. Ce n’est pas seule­ment celui d’Hé­bert mais aus­si tout le gau­chisme social, avec celui de Jacques Roux notam­ment.

Ces trois familles ont connu leurs hauts et leurs bas, leurs moments de gloire et leurs pas­sages à vide, cha­cune d’entre elles venant au secours de celles qui sont en dif­fi­cul­té à un moment don­né. La crise qui secoue la gauche d’au­jourd’­hui est en fait com­mune à ces trois tra­di­tions en même temps.

Depuis l’ef­fet Sol­jé­nit­syne et la mise à nu du com­mu­nisme cor­res­pon­dant en Union Sovié­tique à la désta­li­ni­sa­tion, il est évident que le com­mu­nisme fran­çais est entré en crise. Cela s’est tra­duit par un véri­table écrou­le­ment élec­to­ral. Le gau­chisme, intel­lec­tuel­le­ment beau­coup plus mince a connu son grand moment de gloire en 1968. Depuis, il est ren­tré dans son lit, une rivière sou­ter­raine qui appa­raît de temps à autre. Quant à la social-démo­cra­tie, sa crise intel­lec­tuelle n’est pas moins évi­dente. Il y a comme l’é­crit P. Rosan­val­lon — c’est le titre d’un de ses livres : une ” crise de l’E­tat-pro­vi­dence ” — une crise du modèle de l’E­tat pro­tec­teur dont la social-démo­cra­tie est l’ex­pres­sion. Désor­mais il devient impos­sible d’en­vi­sa­ger une crois­sance expo­nen­tielle des dépenses de l’E­tat ou des dépenses contrô­lées ou tran­si­tant par l’E­tat que cela soit en matière de pro­tec­tion sociale ou d’é­ga­li­té.

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