Revue de réflexion politique et religieuse.

Numé­ro 103 : Laï­ci­té posi­tive ?

Article publié le 5 Avr 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

2009-04-04-tkn103introLe 18 février der­nier, à Gênes, le car­di­nal Camil­lo Rui­ni, en sa qua­li­té de pré­sident du « Pro­jet cultu­rel » de la Confé­rence épis­co­pale ita­lienne (CEI), est inter­ve­nu lors de la der­nière étape d’un cycle de débats orga­ni­sé à l’initiative du dio­cèse. Cette ultime ren­contre publique a por­té sur le thème « Laï­ci­té et bien com­mun ». A cette même ren­contre, orga­ni­sée « à cathé­drale ouverte », ont aus­si par­ti­ci­pé l’historien Andrea Ric­car­di, fon­da­teur de la Com­mu­nau­té Sant’Egidio, Fer­ruc­cio De Bor­to­li, direc­teur de l’influent quo­ti­dien « laïque » Il Sole 24 Ore, et l’archevêque de Gênes, Ange­lo Bagnas­co, pré­sident en exer­cice de la CEI. Même si elle avait été pro­gram­mée anté­rieu­re­ment, cette ini­tia­tive a revê­tu une impor­tance toute spé­ciale du fait qu’elle s’est dérou­lée à quelques jours du point culmi­nant de la vio­lente polé­mique qui a secoué l’Italie durant les der­niers mois, autour de la ques­tion de l’euthanasie et de la mort pro­vo­quée d’Eluana Engla­ro, res­tée dans le coma depuis des années à la suite d’un acci­dent.
L’exposé, sub­stan­tiel, du car­di­nal Rui­ni revêt une triple impor­tance : tout d’abord, il prend place dans un effort enta­mé pour repen­ser sur de nou­velles bases les rap­ports entre l’Eglise et l’Etat en Ita­lie, et par exten­sion dans la plu­part des pays euro­péens, ceci en rai­son des chan­ge­ments mul­tiples de don­nées inter­ve­nus depuis une ving­taine d’années. Ensuite, cet effort est volon­ta­riste, des­ti­né notam­ment à sur­mon­ter l’angoisse née de l’écroulement élec­to­ral de la démo­cra­tie chré­tienne, mais il coïn­cide avec l’angoisse symé­trique de cer­tains milieux poli­tiques qui cherchent le moyen d’assurer ce que Régis Debray appelle aujourd’hui un « moment fra­ter­ni­té » dans une socié­té mena­cée d’implosion. Il faut pré­ci­ser que ce double mou­ve­ment a été amor­cé d’assez longue date en Ita­lie, autour notam­ment de la Fon­da­zione Libe­ral, édi­trice d’une revue du même titre, pré­sen­tée comme point de ren­contre entre « catho­liques et laïques ». Enfin, sur le fond, l’intervention du car­di­nal Rui­ni a l’avantage de faire res­sor­tir le lien étroit qui exis­te­ra tou­jours entre théo­lo­gie et poli­tique. Elle per­met aus­si, de façon plus cir­cons­tan­ciée, de mettre en évi­dence la fonc­tion poli­tique de la décla­ra­tion conci­liaire sur la liber­té reli­gieuse, Digni­ta­tis Huma­nae, déci­dé­ment un des textes majeurs de l’époque, comme l’estimait Paul VI (Mes­sage aux gou­ver­nants, 8 décembre 1965).
L’exposé part d’une défi­ni­tion emprun­tée au Com­pen­dium de la doc­trine sociale de l’Eglise (2004) : le bien com­mun est « l’ensemble des condi­tions de la vie sociale qui per­mettent à la col­lec­ti­vi­té comme à l’individu de par­ve­nir à leur per­fec­tion plus plei­ne­ment et plus rapi­de­ment ». Un autre pas­sage cité du même texte pré­cise que « les exi­gences du bien com­mun découlent de la situa­tion sociale de chaque époque et sont étroi­te­ment liées au res­pect et à la pro­mo­tion inté­grale de l’être humain et de ses droits fon­da­men­taux ». Cette défi­ni­tion est très géné­rale, a mini­ma, n’insistant que sur les moda­li­tés de l’organisation sociale, et prend comme réfé­rence ultime les droits de l’homme, avec en outre l’introduction d’une note d’historicisme. Mais le pas­sé spi­ri­tuel défi­nis­sant une nation, son véri­table bien com­mun, peut-il entrer dans la caté­go­rie des « condi­tions de la vie sociale » – fussent celles de la « col­lec­ti­vi­té » ? Et jusqu’à quel point les dif­fé­rences d’époques ont-elles une inci­dence sur le rap­port entre biens indi­vi­duels et bien com­mun, ou sur la com­po­si­tion essen­tielle de celui-ci ? On com­prend qu’une défi­ni­tion res­treinte à la consi­dé­ra­tion des « condi­tions » puisse ser­vir de valeur par­ta­gée dans une dis­cus­sion plu­ra­liste, mais il faut craindre le dan­ger d’équivoque. Une approche à par­tir des droits et non à par­tir des biens, de leur hié­rar­chie et de leur ordon­nan­ce­ment au bien ultime, peut certes per­mettre la négo­cia­tion d’un modus viven­di dans une situa­tion don­née, comme elle peut s’accorder avec le plu­ra­lisme démo­cra­tique. Mais elle est néces­sai­re­ment pré­caire, évo­lu­tive et donc ris­quée, comme la suite du dis­cours du car­di­nal Rui­ni le confirme.
Le car­di­nal pense que la défi­ni­tion du laï­cisme don­née dans le dic­tion­naire de phi­lo­so­phie le plus connu en Ita­lie (l’Abbagnano) rejoint cer­tains énon­cés conci­liaires. Le laï­cisme, d’après Gio­van­ni For­ne­ro, ne serait pas réduc­tible à sa seule ver­sion jaco­bine, mais à entendre comme « le prin­cipe de l’autonomie des acti­vi­tés humaines, c’est-à-dire l’exigence qu’elles soient exer­cées selon des règles propres, qui ne leur soient pas impo­sées de l’extérieur en fonc­tion de buts ou inté­rêts autres que ceux qui les ins­pirent ». Il s’agit bien là de la concep­tion moderne, imma­nen­tiste, de la volon­té humaine en poli­tique, pré­ten­dant échap­per à toute norme supé­rieure, fût-elle tirée de la rai­son des choses, à plus forte rai­son de la loi natu­relle ou de la royau­té du Christ. Que cette concep­tion ne se tra­duise pas néces­sai­re­ment par une per­sé­cu­tion ouverte, cela dépend de la résis­tance qu’elle ren­contre, bien qu’en réa­li­té elle soit tou­jours en son fond agres­sive.

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