La résignation dans la culture catholique
L’auteur, prêtre et professeur à l’Institut catholique de Toulouse (Faculté de théologie), a remodelé en 500 pages sa thèse doctorale sur un thème pouvant paraître secondaire, ou polémique, à première vue, mais qui est en réalité très important. Secondaire, car la résignation fait partie de ces dispositions d’âme paradoxales, louées comme vertus annexes de l’obéissance à la volonté divine, notamment manifestée à travers les événements de la vie, et comme vice associé au fatalisme et à la perte de l’espérance. Polémique, parce que la résignation est exactement ce qui sert d’appui aux invectives méprisantes de Nietzsche à l’encontre des chrétiens, accusés d’inventer les préceptes d’une morale d’esclaves faite pour justifier leur lâcheté devant la « vie » ; ou de Marx, qui voit dans la résignation le frein venant bloquer la lutte des classes, donc aussi l’obstacle à l’accélération de l’Histoire supposée n’avancer vers la réalisation du Paradis sur terre qu’au moyen de la cupidité, de l’envie, du refus d’accepter sa condition.
Et pourtant la résignation est une disposition très importante, bien que, d’un point de vue chrétien, elle soit tout autant paradoxale. Plus exactement conviendrait-il de distinguer entre une forme éminente de résignation, union avec le Christ, l’Agneau de Dieu acceptant docilement le sacrifice de la croix pour expier la faute originelle et réconcilier l’humanité avec le Père, et une forme négative, baissant les bras par erreur d’interprétation devant un monde impie et s’achevant dans la complicité avec lui. Sous ce rapport, la dégénérescence de la prédication religieuse a successivement abouti à empêcher les justes révoltes contre l’injustice, au nom de tous les ralliements, et jeté le discrédit sur la vie intérieure d’abandon à la divine providence, l’oubli de soi, l’humilité, l’esprit de pénitence.
L’abbé Galinier-Pallerola passe en revue les différentes phases de l’histoire politique de l’Eglise moderne, et constate que le discours ecclésiastique a changé au fil du temps, même s’il fut toujours plus ou moins marqué par un souci de défense exclusif de la liberté du culte et de l’enseignement religieux et peu par la prise en compte effective des exigences d’un ordre politique juste. Le XXe siècle a remis à l’ordre du jour la question scolastique du droit d’insurrection, Pie XI lui-même étant amené à en reprendre les termes dans une encyclique concernant le Mexique et les Cristeros, Firmissimam constantiam (28 mars 1937). La période de 1939–1945 a favorisé de telles réflexions, mais elle a aussi — dans la veine américaniste de l’Action catholique — contribué à déprécier la résignation comme toutes les autres « vertus passives ». En exergue de cet ouvrage, qui est une mine à creuser, l’auteur place l’exclamation suivante : « La résignation ? — Quelle horreur », citation d’un moine de l’abbaye d’En Calcat lui répondant au cours d’un entretien en 2001. Dans la Somme théologique (II II, 21, 1) saint Thomas distingue deux formes de présomption, l’une par défaut (passivité attendant tout de l’action divine), l’autre par excès (prétention millénariste de hâter le cours de l’Histoire en l’organisant par les seuls efforts humains).
Tel est bien en définitive l’arrière-plan du problème.