Le Cercle Jean XXIII
[Note : cet article a été publié dans Catholica n. 89, automne 2005]
Un universitaire nantais, Guy Goureaux, militant socialiste et laïque, vient de retracer l’histoire d’une association de catholiques en rupture d’Eglise, dont il a été l’un des initiateurs et animateurs de sa fondation en 1963 — pour soutenir les premières intuitions de Vatican II et en hommage au pape qui l’avait convoqué —, à sa dissolution en 1980 : le Cercle Jean XXIII ((6. Guy Goureaux, Le Cercle Jean XXIII. Des catholiques en liberté. Nantes, 19631980, Karthala, coll. Signes des Temps, décembre 2004, 28€)). Comme l’écrit Yvon Tranvouez dans la préface du livre qui porte ce titre, il a vécu sous « l’ancien régime de la révolution conciliaire » et rejette ce qu’il appelle l’« Eglise-Institution », la hiérarchie.
Ainsi, malgré ce que l’auteur souhaiterait faire accepter, l’ouvrage n’est pas neutre, il est en quelque sorte l’éloge funèbre d’un combat qui a échoué, ce qu’il regrette amèrement. Cela n’enlève toutefois rien à l’intérêt du livre, car il s’agit là d’un témoignage, livré sans retenue, sur ce qu’a été ce groupement de catholiques à la pointe du progressisme. Rejet de l’« Eglise Institution », exigence de « démocratie interne » dans l’Eglise, remise en cause des rapports entre la Hiérarchie et le « Peuple de Dieu », telles sont les idées de base d’un mouvement qui trouve ses racines dans la résistance à l’Occupation. Son organisation, de même, qui se veut non hiérarchique, à la manière d’une « cellule de base » spontanée.
A ces idées de réformes structurelles s’ajoute très vite — découlant de fait de ces points de départ — une remise en cause de la présence ecclésiale dans la société, la préférant discrète et effacée dans tous les domaines, refusant tout appui des pouvoirs publics pour défendre la religion : « Par exemple, les démarches effectuées […] auprès d’instances politiques pour tenter de faire interdire la projection d’un film, ne pouvaient elles être perçues comme une marque d’autoritarisme, voire d’abus de pouvoir, risquant de faire douter de la sincérité du témoignage de l’Eglise ? ». De même, pour « reconnaître les réalités du monde », on donne naissance à un mouvement de refus de l’école libre, contre la position officielle des évêques. On voit ainsi de nombreux membres nantais du Cercle Jean XXIII s’associer aux « laïques » pour exiger la fin de l’école « confessionnelle », poussant les parents à retirer leurs enfants des écoles libres pour les placer dans les écoles publiques, voire à réclamer d’en ouvrir lorsqu’il n’y en a pas.
Mais il ne s’agit pas du seul terrain de contestation, loin s’en faut. Les membres du Cercle Jean XXIII — soutenus par des ecclésiastiques, tels les pères Christian Duquoc et Marie-Dominique Chenu, mais aussi d’autres, moins connus — s’engouffrent dans la brèche créée par le concile Vatican II et touchent à tous les domaines, avec deux slogans : « démocratie » et aggiornamento. Pour eux, tout est à revoir dans l’« Eglise-Institution » : relations entre la Hiérarchie et les fidèles, morale sous tous ses aspects, théologie, au nom d’« un dogme […] : la liberté de conscience […].
L’analyse des textes conciliaires récents les confortait dans leur position, les encourageait à prendre des initiatives, voire à s’affirmer aussi compétents, sinon plus, que le corps clérical, dans la compréhension des phénomènes sociaux et sur nombre de questions y compris de morale ». L’auteur exprime au passage bruyamment son désaccord vis-à-vis de l’attitude de la papauté envers certaines « expériences pastorales » (prêtres-ouvriers, théologie de la libération, condamnations contrecarrant « le libre débat qui est de droit dans l’Eglise ») et « la tendance conservatrice », si ce n’est « l’intégrisme catholique » : « Fallait-il être schismatique pour être écouté dans les arcanes vaticanes ?
On attendra 1988 pour que Mgr Lefebvre soit condamné. On attend encore aujourd’hui […] que se soumettent aux orientations conciliaires les communautés schismatiques installées ici et là avec le soutien d’évêques diocésains ». De plus, le combat de ces militants contre l’« Institution » les conduit à unir leurs efforts à ceux d’autres confessions (ce que Guy Goureaux appelle « un œcuménisme engagé ») contre Franco, Salazar, Pinochet, le Brésil des généraux, la guerre du Viêt-Nam, le nucléaire… Auparavant, tout naturellement, ils avaient été « sur les fronts de la décolonisation (Algérie, Indochine) », bref, tous les bons combats du progressisme. Cet « œcuménisme engagé » s’attaque aussi — intentionnellement ou non, l’auteur le met sur le même plan que les régimes autoritaires — aux questions de morale. Lors du débat sur la légalisation de l’avortement, les militants du Cercle prennent officiellement position en faveur de la loi, que ce soit par des textes discutés en commun ou par des communiqués : « Les signataires — face aux groupes dépression dont l’intérêt est de s’opposer à tout changement — se prononcent pour la libéralisation de la contraception et de l’avortement.
Ils demandent très fermement : […] Que les moyens contraceptifs soient accessibles à tous […]. Que l’avortement — comme ultime recours — soit libre, pris en charge par la sécurité sociale, et réalisé dans les meilleurs conditions médicales ». Cependant la contestation tous azimuts menée par le Cercle entraîne son affaiblissement — en raison du manque de relève et d’un épuisement lié à l’absence de coordination — et un réinvestissement de ses membres, au moins de cœur, dans les associations contestataires telles que « Chrétiens en Liberté… », les « réseaux du Parvis » et « Nous sommes aussi l’Eglise ».
Guy Goureaux, dans sa conclusion, regrette clairement que son combat n’ait pu aboutir, citant ces mots du père Congar (Monjournal du Concile) : « Il n’y a rien à faire de décisif tant que l’Eglise romaine ne sera pas sortie totalement de ses prétentions seigneuriales et temporelles. Il faudra que tout cela soit détruit. Et cela le sera ». La contestation, toujours présente, ne dépasse cependant pas le stade du groupuscule dont l’action est vouée inexorablement à l’échec et ne se maintiendrait pas longtemps sans le relais de médias amis.