Laïcité ou religion nouvelle ?
Edgar Quinet a tenu, montre Thibaud Collin dans ce court mais dense essai, un rôle majeur dans la construction de la théorie laïque républicaine, théorie qui est tout entière liée à la question de la refondation de la société par les révolutionnaires. Pour Quinet, la révolution ne parvient pas à son objectif de formation d’un nouveau peuple parce que ses auteurs n’ont pas compris cette loi essentielle des révolutions, selon laquelle « une révolution politique dépend d’une révolution religieuse », parce que le religieux est « l’origine de l’esprit ou du tempérament d’un peuple ». Faute d’éradiquer la religion chrétienne, ou plutôt le catholicisme, de l’esprit du peuple, la révolution ne peut s’installer définitivement.
Mais cette éradication souhaitée est en réalité une substitution : la religion catholique, qui fait de la vérité un absolu enseigné sous le mode de l’autorité et de la révélation, imposait la liberté ; la république, c’est-à-dire la liberté moderne, suppose non la suppression de la religion, mais le lien existant entre religion et vérité, c’est-à-dire l’institution d’une religion du relativisme. Et « si les religions enseignent le principe de la société moderne, elles se renversent » : à la fin politique des religions, correspond la naissance d’une nouvelle religion : « l’Eglise nouvelle, celle qui rassemble véritablement, ne le fait que par l’acceptation du principe de discussion et de ses présupposés », ce qui se traduit d’ailleurs par le fait que cette religion, qui s’impose par une autorité qui doit être indiscutée (et dévolue, comme chez Condorcet, à l’Instruction), est en perpétuelle auto-construction, parce que le relativisme, comme toute vertu, s’apprend en se pratiquant, y compris à l’égard de soi-même. Cette dernière caractéristique de la pensée de celui qui a très fortement influencé Jules Ferry, puis les auteurs de la loi de 1905, permet assurément de mettre en perspective les actualisations contemporaines de la laïcité républicaine.