La raison démocratique dans les limites du religieux
S’inspirant de Tocqueville et de Bataille auxquels il a déjà consacré quelques écrits, l’auteur, actuellement professeur à Washington (The Catholic University of America), propose une réflexion, dans un style incisif, sur les rapports entre religion et démocratie.
Loin de s’opposer, dit-il, celles-ci sont en réalité complémentaires. Seule la religion guérit l’homme du nihilisme et lui permet de supporter les souffrances du présent en plaçant « le but final de la vie après la vie ». L’homme est habité par un « désir d’infini et de totalité » qui le place face à une alternative : « Rejoindre ou remplacer Dieu ». Contrairement à la démocratie américaine, la pensée des Lumières françaises « s’est contentée de nier le sacré en entretenant l’illusion d’un monde pliable et façonnable aux lois de la Raison ». Ce faisant, non seulement elle méconnaît « l’instinct religieux » inhérent à tout être humain, mais, en voulant affranchir l’homme de sa finitude, elle le conduit aussi à le priver de la « latitude de regarder en avant et vers la hauteur », engendrant « abrutissement » et « déresponsabilisation ».
L’intuition de Tocqueville a été de « déduire la cohésion et l’équilibre des sociétés libres d’une limite invisible restreignant le pouvoir de l’homme ». Au fond, cet essai est une méditation sur la nécessité de la « limite » en démocratie et d’un « bon usage du religieux », lequel est appelé à être non plus l’ennemi de la raison, mais « sa source et son prolongement spirituels », qui la « rappelle au courage de l’humilité en lui désignant ses limites ». C’est dans cette perspective que l’auteur se livre à une critique très pénétrante du débat entre J. Derrida et J. Habermas au sujet du terrorisme et des attentats du 11 septembre et met au jour leur présupposé commun : malgré leurs apparentes différences, l’un et l’autre déduisent « le réel d’un système langagier parfaitement autonome, indépendant d’une Cause supérieure » et « se rejoignent dans la négation d’une instance transcendante de nature religieuse ». Ce que l’auteur appelle la « terreur intellectuelle à l’âge postmoderne » est cette négation de toute transcendance religieuse — laquelle s’inscrit d’ailleurs, au vrai, dans le mouvement même de la modernité —, qui aboutit par contrecoup à favoriser le terrorisme islamique.
« Mettre au jour l’imposture postmoderne » consistant à substituer à la religion le « culte d’un langage autoréférentiel » source de relativisme et d’arbitraire, telle est, en définitive, l’ambition de cet essai, qui contient par ailleurs des analyses intéressantes sur les sociétés ouvertes face au terrorisme, question à laquelle J.-M. Heimonet a consacré d’autres ouvrages.
(note : cet article a été publié dans Catholica, n. 99, pp. 142–143)