FIAC 09 : les recettes de l’Art contemporain
Mis à mal à New York par la crise, l’Art dit contemporain (l’AC, cet art, conceptuel et transgresseur, issu des idées de Duchamp, un « non-art » pour certains) se porte bien mieux à Paris. Grâce à l’Etat qui, depuis trente ans, à coup de subventions, en a fait un art officiel sous perfusion, soigné par une armada de fonctionnaires.
L’opération versaillaise en dit long : la commissaire de l’exposition Koons (cet ancien trader reconverti dans l’art) était aussi salariée de M. Pinault ; le palais offrait un écrin prestigieux renforçant la légitimité du protégé du collectionneur ((François Pinault, qui a acquis le Palazzo Grassi, à Venise, en 2005, est le principal collectionneur mondial de Koons. Ce dernier avait exposé ses productions à l’intérieur du Palais de Versailles au cours de l’hiver 2008-09. )) . Cette année, Veihlan lui succède, on annonce plus tard Murakami et Cattelan, ces derniers aussi collectionnés par l’homme d’affaire breton, tous poulains de la galerie Perrotin… Si on ajoute que M. Aillagon, ancien ministre de la culture, a été plusieurs années au service de M. Pinault, il se dessine une de ses constellations qui unit fonctionnaires et financiers (et passe par maison de vente et organes de presse, notre Breton possédant Christies et Le Monde…). Le réseau est la clef de survie de l’AC, il suffit qu’il tienne bon en soutenant la valeur d’un « installateur » pour qu’il se révèle un placement moins dangereux et plus glamour que Madof. L’Art dit contemporain peut prétendre être une valeur refuge, voire une véritable planche à billet, échappant à tous les contrôles boursiers. En France, il s’abrite dans le giron de l’Etat culturel : les réseaux utilisent le patrimoine comme machine à coter, ou du moins à préserver les prix par temps de crise. Seule concession, pour se donner bonne conscience auprès du contribuable, otage malgré lui : Versailles accueille un Français et l’homme du Palais Grassi s’intéresse enfin à des frenchies jusqu’ici peu représentés dans sa collection…
Le Versailles de l’Art contemporain ((La Fiac (Foire internationale d’Art contemporain) s’est tenue à Paris du 21 au 24 octobre 2009.))
La stratégie est toujours la même. D’abord des expositions temporaires (à l’occasion d’une « Nuit blanche ») : on rassure ainsi les inquiets en disant que tout est provisoire ; puis le provisoire dure… et l’intrusion du contemporain devient un acquis, une obligation, un devoir. Ensuite vous taxez ceux qui protestent de passéistes qui « ont plus de préjugés que d’arguments ». Dites sans rire que c’est un « lieu où Louis XIV faisait déjà intervenir des artistes vivants ». Pardi ! Refaites aussi le coup de la pyramide de Peï qui, « après la polémique, engendra la conversion » (l’hypothèse de la lassitude n’est jamais envisagée). Et le tour est joué ; portez l’estocade finale en invoquant le succès populaire : « voyez Koons, nous dit-on : un million de visiteurs » ! Certes, supposons les chiffres exacts (rien n’est moins sûr ((Les chiffres de participation dithyrambiques sont souvent suspectés. Récemment le ministère de la Culture a été pris sur le fait : l’exposition « La Force de l’art », en 2009, était décentralisée, avec des interventions à l’église Saint-Eustache, au musée Grévin, au Palais de la Découverte, au musée du Louvre… Pour gonfler le taux anémique de fréquentation, les organisateurs avaient intégré dans leurs statistiques des visiteurs des sites partenaires. « La force de l’Art, la farce des chiffres », Libération, 10 juin 2009.)) ), faisons comme si Versailles n’avait pas supprimé le livre d’or, interdit par lettre la moindre critique à ses conférenciers : que mesure ce chiffre ? La satisfaction béate ou la simple curiosité de voir « jusqu’où ça va » ? Quoi qu’il fasse, le public est piégé : absent, on lui dénie le droit de critiquer parce qu’il n’a pas vu, vient-il, on l’enrôle de force dans une statistique approbatrice…
Cette instrumentalisation du passé s’accompagne d’une rengaine : la crise offrirait l’opportunité d’un retour vers la qualité, le tri « des imposteurs face aux vrais talents qui durent », bref la séparation du bon grain de l’ivraie. C’est vrai aux Etats-Unis, où on observe un retour à la peinture, une justification des prix par des critères esthétiques et historiques plutôt que par les garanties des réseaux. Mais si la Fiac met en avant les grands noms de l’Art moderne (Matisse ou Léger bien plus présentables que Delvoye ou Serrano), elle mise aussi sur le soutien de l’Etat qui achète, le fait savoir… et apporte l’estimable prestige de l’inaliénabilité de ses acquisitions. Le pullulement de foires off montre que le message est reçu, et Alain Seban, qui dirige le Centre Pompidou, vient de déclarer vouloir en faire « le Versailles de l’art contemporain ». « Notre seul alter ego est le Moma de New-York ». C’est afficher clairement une ambition ((Antoine Le Grand, Le Figaro Magazine, 23 octobre 2009.
)) : Paris rêve de reprendre à New-York sa place de capitale de l’Art contemporain. La force de l’art en France, c’est d’abord la force de l’Etat.
L’apothéose du spirituel
Et l’Eglise dans tout ça ? Elle continue imperturbablement à soutenir ce qu’elle croit être l’art de nos contemporains alors qu’il n’est que l’expression du nihilisme d’affaires de quelques uns. L’Eglise en ouvrant son patrimoine, lors des Nuits blanches par exemple, contribue à faire les cotes des vedettes de l’AC en croyant qu’elle aide de jeunes talents ((« Cette année on a vu réapparaître à la Foire “Art Paris” une œuvre de Philippe Perrin, la couronne d’épines géante en barbelé : “Heaven”, exposée lors des “Nuits blanches” de 2006 devant l’autel, dans le chœur de Saint-Eustache. Elle fut présentée à la vente avec son cursus, sa précieuse polémique et son délicieux parfum de scandale » (Aude de Kerros, « “Nuit blanche“ : à quoi sert l’art contemporain dans les églises ? » (http://www.libertepolitique.com/culture-et-societe/5570-qnuit-blancheq-a-quoi-sert-lart-contemporain-dans-les-eglises ).)) . Ainsi à Saint-Eustache (Paris), Pierre et Gilles ont exposé une Vierge à l’Enfant sur fond de travaux : loin de susciter un « dialogue » avec la foi ou l’art chrétien, cette imagerie fut saluée comme celle de la « fertilité de l’environnement urbain et l’espoir qu’elle porte » ! A l’occasion de la Biennale de Lyon, le couvent de la Tourette exposait Morellet et un pas fut franchi ; l’important n’était plus la rencontre de l’Eglise et de l’Art puisque le Figaro titra : « Le plasticien Morellet dialogue avec Le Corbusier chez les frères dominicains ». Autrement dit, l’art dialogue avec lui-même et l’Eglise est le dernier salon où il cause. Morellet est présenté comme « vétéran du minimalisme » et Le Corbusier « architecte du radical », or un certain frère Marc déclare que « Morellet aime « chatouiller » cette architecture ». Ce terme est-il approprié au grandiose colloque du minimal et du radical ? Sur les blogues, les internautes ne se sont pas privés de demander si, à l’instar de Knock, « ça ne gratouillait pas ». D’autant que la fin de l’article précisait que « l’apothéose du spirituel est dans l’Eglise », certes, mais de quel spirituel dans l’art s’agit-il ? Le cercle brisé – d’où son nom de lamentable – en néon blanc contraste par « sa douceur, sa féminité, avec l’architecture de Le Corbusier, imposante, sévère, virile » (sic). Donc l’apothéose du spirituel n’est plus la Trinité mais une dualité très yin/yang. Et comme ces divines paroles semblent celles du frère Marc, les internautes de s’interroger : vivre dans le radical et le minimal entraîne-t-il donc une frustration fort banale ?
L’Art contemporain force à consentir à son discours tous ceux qui ne savent pas le contredire…