Revue de réflexion politique et religieuse.

FIAC 09 : les recettes de l’Art contem­po­rain

Article publié le 6 Déc 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Mis à mal à New York par la crise, l’Art dit contem­po­rain (l’AC, cet art, concep­tuel et trans­gres­seur, issu des idées de Duchamp, un « non-art » pour cer­tains) se porte bien mieux à Paris. Grâce à l’Etat qui, depuis trente ans, à coup de sub­ven­tions, en a fait un art offi­ciel sous per­fu­sion, soi­gné par une arma­da de fonc­tion­naires.

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L’opération ver­saillaise en dit long : la com­mis­saire de l’exposition Koons (cet ancien tra­der recon­ver­ti dans l’art) était aus­si sala­riée de M. Pinault ; le palais offrait un écrin pres­ti­gieux ren­for­çant la légi­ti­mi­té du pro­té­gé du col­lec­tion­neur ((Fran­çois Pinault, qui a acquis le Palaz­zo Gras­si, à Venise, en 2005, est le prin­ci­pal col­lec­tion­neur mon­dial de Koons. Ce der­nier avait expo­sé ses pro­duc­tions à l’intérieur du Palais de Ver­sailles au cours de l’hiver 2008-09. )) . Cette année, Veih­lan lui suc­cède, on annonce plus tard Mura­ka­mi et Cat­te­lan, ces der­niers aus­si col­lec­tion­nés par l’homme d’affaire bre­ton, tous pou­lains de la gale­rie Per­ro­tin… Si on ajoute que M. Ailla­gon, ancien ministre de la culture, a été plu­sieurs années au ser­vice de M. Pinault, il se des­sine une de ses constel­la­tions qui unit fonc­tion­naires et finan­ciers (et passe par mai­son de vente et organes de presse, notre Bre­ton pos­sé­dant Chris­ties et Le Monde…). Le réseau est la clef de sur­vie de l’AC, il suf­fit qu’il tienne bon en sou­te­nant la valeur d’un « ins­tal­la­teur » pour qu’il se révèle un pla­ce­ment moins dan­ge­reux et plus gla­mour que Madof. L’Art dit contem­po­rain peut pré­tendre être une valeur refuge, voire une véri­table planche à billet, échap­pant à tous les contrôles bour­siers. En France, il s’abrite dans le giron de l’Etat cultu­rel : les réseaux uti­lisent le patri­moine comme machine à coter, ou du moins à pré­ser­ver les prix par temps de crise. Seule conces­sion, pour se don­ner bonne conscience auprès du contri­buable, otage mal­gré lui : Ver­sailles accueille un Fran­çais et l’homme du Palais Gras­si s’intéresse enfin à des fren­chies jusqu’ici peu repré­sen­tés dans sa col­lec­tion…

Le Ver­sailles de l’Art contem­po­rain ((La Fiac (Foire inter­na­tio­nale d’Art contem­po­rain) s’est tenue à Paris du 21 au 24 octobre 2009.))

La stra­té­gie est tou­jours la même. D’abord des expo­si­tions tem­po­raires (à l’occasion d’une « Nuit blanche ») : on ras­sure ain­si les inquiets en disant que tout est pro­vi­soire ; puis le pro­vi­soire dure… et l’intrusion du contem­po­rain devient un acquis, une obli­ga­tion, un devoir. Ensuite vous taxez ceux qui pro­testent de pas­séistes qui « ont plus de pré­ju­gés que d’arguments ». Dites sans rire que c’est un « lieu où Louis XIV fai­sait déjà inter­ve­nir des artistes vivants ». Par­di ! Refaites aus­si le coup de la pyra­mide de Peï qui, « après la polé­mique, engen­dra la conver­sion » (l’hypothèse de la las­si­tude n’est jamais envi­sa­gée). Et le tour est joué ; por­tez l’estocade finale en invo­quant le suc­cès popu­laire : « voyez Koons, nous dit-on : un mil­lion de visi­teurs » ! Certes, sup­po­sons les chiffres exacts (rien n’est moins sûr ((Les chiffres de par­ti­ci­pa­tion dithy­ram­biques sont sou­vent sus­pec­tés. Récem­ment le minis­tère de la Culture a été pris sur le fait : l’exposition « La Force de l’art », en 2009, était décen­tra­li­sée, avec des inter­ven­tions à l’église Saint-Eus­tache, au musée Gré­vin, au Palais de la Décou­verte, au musée du Louvre… Pour gon­fler le taux ané­mique de fré­quen­ta­tion, les orga­ni­sa­teurs avaient inté­gré dans leurs sta­tis­tiques des visi­teurs des sites par­te­naires. « La force de l’Art, la farce des chiffres », Libé­ra­tion, 10 juin 2009.)) ), fai­sons comme si Ver­sailles n’avait pas sup­pri­mé le livre d’or, inter­dit par lettre la moindre cri­tique à ses confé­ren­ciers : que mesure ce chiffre ? La satis­fac­tion béate ou la simple curio­si­té de voir « jusqu’où ça va » ?  Quoi qu’il fasse, le public est pié­gé : absent, on lui dénie le droit de cri­ti­quer parce qu’il n’a pas vu, vient-il, on l’enrôle de force dans une sta­tis­tique appro­ba­trice…

Cette ins­tru­men­ta­li­sa­tion du pas­sé s’accompagne d’une ren­gaine : la crise offri­rait l’opportunité d’un retour vers la qua­li­té, le tri « des impos­teurs face aux vrais talents qui durent », bref la sépa­ra­tion du bon grain de l’ivraie. C’est vrai aux Etats-Unis, où on observe un retour à la pein­ture, une jus­ti­fi­ca­tion des prix par des cri­tères esthé­tiques et his­to­riques plu­tôt que par les garan­ties des réseaux. Mais si la Fiac met en avant les grands noms de l’Art moderne (Matisse ou Léger bien plus pré­sen­tables que Del­voye ou Ser­ra­no), elle mise aus­si sur le sou­tien de l’Etat qui achète, le fait savoir… et apporte l’estimable pres­tige de l’inaliénabilité de ses acqui­si­tions. Le pul­lu­le­ment de foires off montre que le mes­sage est reçu, et Alain Seban, qui dirige le Centre Pom­pi­dou, vient de décla­rer vou­loir en faire « le Ver­sailles de l’art contem­po­rain ». « Notre seul alter ego est le Moma de New-York ». C’est affi­cher clai­re­ment une ambi­tion ((Antoine Le Grand, Le Figa­ro Maga­zine, 23 octobre 2009.
))  : Paris rêve de reprendre à New-York sa place de capi­tale de l’Art contem­po­rain. La force de l’art en France, c’est d’abord la force de l’Etat.

L’apothéose du spi­ri­tuel

Et l’Eglise dans tout ça ? Elle conti­nue imper­tur­ba­ble­ment à sou­te­nir ce qu’elle croit être l’art de nos contem­po­rains alors qu’il n’est que l’expression du nihi­lisme d’affaires de quelques uns. L’Eglise en ouvrant son patri­moine, lors des Nuits blanches par exemple, contri­bue à faire les cotes des vedettes de l’AC en croyant qu’elle aide de jeunes talents ((« Cette année on a vu réap­pa­raître à la Foire “Art Paris” une œuvre de Phi­lippe Per­rin, la cou­ronne d’épines géante en bar­be­lé : “Hea­ven”, expo­sée lors des “Nuits blanches” de 2006 devant l’autel, dans le chœur de Saint-Eus­tache. Elle fut pré­sen­tée à la vente avec son cur­sus, sa pré­cieuse polé­mique et son déli­cieux par­fum de scan­dale » (Aude de Ker­ros, « “Nuit blanche“ : à quoi sert l’art contem­po­rain dans les églises ? » (http://www.libertepolitique.com/culture-et-societe/5570-qnuit-blancheq-a-quoi-sert-lart-contemporain-dans-les-eglises ).)) . Ain­si à Saint-Eus­tache (Paris), Pierre et Gilles ont expo­sé une Vierge à l’En­fant sur fond de tra­vaux : loin de sus­ci­ter un « dia­logue » avec la foi ou l’art chré­tien, cette ima­ge­rie fut saluée comme celle de la « fer­ti­li­té de l’en­vi­ron­ne­ment urbain et l’es­poir qu’elle porte » ! A l’occasion de la Bien­nale de Lyon, le couvent de la Tou­rette expo­sait Morel­let et un pas fut fran­chi ; l’important n’était plus la ren­contre de l’Eglise et de l’Art puisque le Figa­ro titra : « Le plas­ti­cien Morel­let dia­logue avec Le Cor­bu­sier chez les frères domi­ni­cains ». Autre­ment dit, l’art dia­logue avec lui-même et l’Eglise est le der­nier salon où il cause. Morel­let est pré­sen­té comme « vété­ran du mini­ma­lisme » et Le Cor­bu­sier « archi­tecte du radi­cal », or un cer­tain frère Marc déclare que « Morel­let aime « cha­touiller » cette archi­tec­ture ». Ce terme est-il appro­prié au gran­diose col­loque du mini­mal et du radi­cal ? Sur les blogues, les inter­nautes ne se sont pas pri­vés de deman­der si, à l’instar de Knock, « ça ne gra­touillait pas ». D’autant que la fin de l’article pré­ci­sait que « l’apothéose du spi­ri­tuel est dans l’Eglise », certes, mais de quel spi­ri­tuel dans l’art s’agit-il ? Le cercle bri­sé – d’où son nom de lamen­table – en néon blanc contraste par « sa dou­ceur, sa fémi­ni­té, avec l’architecture de Le Cor­bu­sier, impo­sante, sévère, virile » (sic). Donc l’apothéose du spi­ri­tuel n’est plus la Tri­ni­té mais une dua­li­té très yin/yang. Et comme ces divines paroles semblent celles du frère Marc, les inter­nautes de s’interroger : vivre dans le radi­cal et le mini­mal entraîne-t-il donc une frus­tra­tion fort banale ?

L’Art contem­po­rain force à consen­tir à son dis­cours tous ceux qui ne savent pas le contre­dire…

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