L’homme au XXIe siècle
Mon âge avancé ne me permet pas d’assister personnellement, comme je l’aurais souhaité, à votre congrès. « L’homme au XXIe siècle » est un sujet qui me préoccupe profondément ; je me permets donc de vous adresser ce message comme modeste contribution à vos travaux.
Sous le nom de Moyen Âge – sous l’influence de la Réforme protestante et de la Renaissance – naît en Occident un mouvement culturel d’« humanisation », c’est-à-dire d’affirmation de l’homme comme acteur et fin de sa propre existence. A l’origine, l’« humanisme » – c’est le nom de cette attitude idéologique – signifie le retrait de Dieu du centre d’intérêt des hommes ainsi que de leurs actions, pour privilégier la personne humaine. Dans cette même ligne, le « déisme » réduit Dieu à une lointaine causalité.
Le « Siècle des Lumières » va encore plus loin : d’un obscur antécédent conceptuel, Dieu devient l’obscurité elle-même. Pour être finalement totalement nié. C’est en s’opposant à l’« idée de Dieu » – qui doit être combattue parce que néfaste – que l’homme est affirmé. A partir des élégantes « Lumières », en passant par l’apostasie émotive et homicide de la Révolution française, on arrive au militantisme plein de ressentiment du matérialisme historique qui combat l’« opium du peuple ».
Cependant, pendant tout ce processus Dieu est encore un point de référence, bien que flou ou à éviter, ou même objet de refus explicite. Mais rapidement, malgré les efforts d’un « humanisme chrétien » hésitant, l’affirmation de l’homme comme instance suprême et immanente passe par l’étape logique préalable de la négation de Dieu. La pensée officiellement correcte déclare que son concept est contradictoire, ou tout au moins « subjectif ». Au nom de la mentalité scientifique, l’athéisme ambiant décrète qu’un Être Créateur et provident n’a aucun sens et ne mérite donc pas d’être l’objet de discussions. Dieu est alors réduit à un phénomène sociologique ou psychique, et par le fait même à un objet d’étude des sciences sociales et humaines ou de l’introspection. Le processus mental d’« humanisation » culmine finalement dans la deuxième moitié du siècle dernier. Et Dieu en fait encore partie !
Depuis cette situation inespérée, nous nous trouvons maintenant confrontés à l’absence de Dieu, décidée par les grands de ce monde. Les « droits de l’homme » se fondent alors sur eux-mêmes (comme l’impératif catégorique de Kant) et ignorent de ce fait leur contrepartie, les devoirs de l’homme envers Dieu. Les droits ne résident plus dans la nature (créée par Lui) mais dans la liberté, sans restriction et égocentrique, qui s’ouvre à toutes les possibilités. Les frontières éthiques disparaissent en même temps que la perte de la transcendance divine.
Cette philosophie des droits absolus de l’homme est la source métaphysique de la modernité ; et la postmodernité consiste à l’assumer pleinement.
Elle le fait par le biais de deux mécanismes qui se sont constitués à leur propre fin : d’une part l’engrenage de la technique qui rend possible le panéconomisme actuel et n’admet que la loi du marché ; et, d’autre part, le mécanisme de la solidarité globale, froide et anonyme, planifiée et obligatoire, qui remplace le dévouement cordial et volontaire d’autrefois – par justice et compassion – par la fraternité envers le prochain. L’humanisme déshumanisé et apostat encensé par les moyens de communication de masse et légalisé par des textes juridiques consacrés internationalement culmine dans ces deux mécanismes qui dévorent l’homme mais dont les avantages évidents sous d’autres aspects sont indiscutables. C’est un humanisme désincarné et sans âme qui a perdu ses racines en Dieu, en Dieu qui est Amour. Et qui ignore le Christ, Dieu fait homme.
Il faut cependant être aveugle pour ne pas voir où nous a conduits cet humanisme orphelin de Dieu. Il n’est donc pas nécessaire de décrire ce que nous remarquons de toutes parts : aux côtés des avancées de la civilisation abondent les égoïsmes, les déséquilibres, les violences, les dangers, les injustices… qui ont certes toujours existé, mais qui constituent aujourd’hui un réseau planétaire qui menace l’humanité dans son essence et son existence. La décadence de l’Occident – déjà diagnostiquée dans les années vingt du siècle dernier – et les deux mécanismes prédateurs que nous avons évoqués s’apparentent et se conditionnent de sorte que leurs artifices ne peuvent pas compenser les ravages de la civilisation décadente dans laquelle les hommes ne sont que des pantins.
Le seul moyen de sortir de cette situation consiste à redevenir des hommes, de véritables hommes, et à nous débarrasser des imposteurs qui empoisonnent et falsifient notre essence. Telle est la tâche salvatrice de l’homme du XXIe siècle. Retrouver les racines de l’Occident et, conscients de notre dépendance, revendiquer notre filiation divine afin de prendre un nouvel essor, fortifiés par l’espérance et par une nouvelle jeunesse.
En Amérique hispanique, la terre la plus occidentale de l’Occident, nos racines chrétiennes ne se sont pas complètement desséchées ; une sève vivifiante coule encore en elle. Protégés par les océans et par la mer des Caraïbes – bien qu’envahis par la modernité – nous avons sauvegardé le sentiment d’éternité, de générosité, de la nature dans sa virginité tellurique, et même l’insolence du « quand ça me chantera ». C’est là notre trésor. Sortons-le au grand jour pour les générations futures, communiquons-le dans un effort éducatif inspirés des idéaux éternels, montrons-le dans notre générosité spirituelle au monde entier et remercions-en Dieu parce que nous savons et pouvons encore le faire.