La sacralité de la médiation politique
La réalité contemporaine est dominée par un laïcisme qui non seulement nie la valeur positive du christianisme, mais qui cherche en réalité à l’extirper de la culture politique [Marcello Pera, « I diritti humani ? Prima non c’erano », L’Osservatore Romano, 1er octobre 2009, p. 4.]. Cette idéologie rejette une longue tradition de subordination à Dieu qu’elle rêve de détrôner, à l’exemple de Satan. Le fait qu’aujourd’hui pratiquement aucun gouvernement ne reconnaisse sa dépendance envers Dieu n’empêche pas que ce soit là le statut essentiel de tout pouvoir politique. Et si un gouvernement peut refuser d’assumer cette fonction ministérielle, Dieu n’en demeure pas moins le Seigneur de l’Histoire, qui peut transformer l’infidélité des gouvernants en un bien pour le peuple qui subit leur tyrannie.
L’homo oeconomicus, l’idéal borné et aliénant offert par le socialisme et l’hédonisme de la consommation, ne peut qu’être rejeté, de même que l’homo politicus des différents types de libéralisme, ce modèle autoréférentiel qui se fonde sur une culture sans autre horizon que la cité terrestre. C’est à l’homo catholicus que nous devons penser, qui intègre ce qui relève des deux premières catégories mais les dépasse de beaucoup, parce que sa conscience première est précisément celle d’un ministre de Dieu dans le monde. C’est ce qui le pousse à désirer l’instauration de la seule forme sociale qui réponde aux plans éternels de Dieu, le règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ. En tant que catholicus, il est un homme complet, enraciné dans l’humus de l’histoire de la cité et de la nation dans lesquelles Dieu l’a placé. Il n’est pas cosmopolite, mais universel, enraciné dans une culture humaine, car la Foi doit faire pousser ses racines dans une nation déterminée et la transformer. Sans entrer dans le long processus historique de la sécularisation, et donc aussi de la désacralisation de l’autorité politique, on constate que beaucoup de régimes contemporains tentent de se légitimer au moyen de certaines formes de sacralisation. Leur quête est une confirmation assez directe que de même que l’être humain a besoin de Dieu même s’il le nie explicitement, il a aussi besoin que l’autorité politique se fonde sur des bases qui ne soient pas exclusivement séculières et rationalistes.
Ainsi en va-t-il des Etats-Unis, où s’est développée une sorte de religion civile basée sur le mythe des « Pères fondateurs », puis sur celui qui veut que ce pays soit la terre bénie de Dieu, un lieu où tous les hommes ont la possibilité d’être prospères et heureux. Que l’on pense de même aux rites civils, de nature quasi religieuse, qui se pratiquent dans le culte de la personnalité des dirigeants, phénomène bien connu en Russie soviétique et dans l’Allemagne nazie, et encore visible en Chine communiste et dans certains régimes populistes latino-américains, et d’ailleurs aussi sensibles dans certaines manifestations politiques des démocraties occidentales [Antonio Carile, La sacralità rituale dei ΒΛΣΙΛΕΙΣ bizantini, in Per me Reges Regnant – la regalità sacra nell’Europa medievale, Franco e Maria Saltarelli (dir.), Il Cerchio (Rimini) et Cantagalli (Sienne), 2002, p. 53]. La dogmatisation de la démocratie peut évidemment être considérée comme relevant de tendances totalisantes, visant à exclure de l’ordre politique quiconque refuserait cette nouvelle forme d’orthodoxie publique [Rafael Gambra, « La Democracia como Religión – La frontera del mal », Verbo [Madrid], n.229–230, oct.-déc. 1984, p. 1215.].