Dignitatis Humanae. Liberté religieuse : évolution d’un concept
Le 11 avril 1963, Jean XXIII publiait l’encyclique Pacem in terris dans laquelle il évoquait ainsi la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies : « Nous n’ignorons pas que certains points de cette Déclaration ont soulevé des objections et fait l’objet de réserves justifiées. Cependant, Nous considérons cette Déclaration comme un pas vers l’établissement d’une organisation juridico-politique de la communauté mondiale. Cette Déclaration reconnaît solennellement à tous les hommes, sans exception, leur dignité de personne ; elle affirme pour chaque individu ses droits de rechercher librement la vérité, de suivre les normes de la moralité, de pratiquer les devoirs de justice, d’exiger des conditions de vie conformes à la dignité humaine, ainsi que d’autres droits liés à ceux-ci ».
C’était la première fois qu’un souverain pontife de l’Eglise catholique s’exprimait en des termes aussi élogieux au sujet d’une Déclaration moderne des droits de l’homme, d’inspiration clairement libérale. Il ne faudrait cependant pas passer outre deux remarques. La première concerne les « réserves justifiées » que Jean XXIII lui-même admet qu’il est possible d’émettre à propos de ce texte (sans pour autant préciser de quelles réserves il s’agit). La deuxième concerne les droits énoncés comme faisant partie de la Déclaration : le passage cité prouve clairement qu’en réalité ils n’y figurent pas. Le Pontife en fait une synthèse, en en transformant les termes, et attribue aux droits subjectifs et autonomes des Nations unies une saveur objective renvoyant à un fondement transcendant (cf. par exemple le droit de rechercher librement la vérité, de suivre les normes de la moralité, etc.).
Ce constat incite à s’interroger sur le sens véritable de l’approbation de ce document. Si pour y procéder l’Eglise doit auparavant exprimer une intention générale de réserve et altérer la formulation des droits consacrés dans le but de les ajuster à sa doctrine, c’est que la distance qui sépare cette dernière du fond théologique et philosophique de ces droits ne doit pas être insignifiante. Cependant, chez Jean XXIII, cette distance est écourtée. En effet, lorsqu’il considère comme irremplaçable le rôle des Nations unies dans l’application des droits de l’homme, il semble faire abstraction des différences doctrinales qu’il a pourtant lui-même constatées : « Nous désirons donc vivement que l’organisation des Nations unies puisse de plus en plus adapter ses structures et ses moyens d’action à l’étendue et à la haute valeur de sa mission. Puisse-t-il arriver bientôt, le moment où cette Organisation garantira efficacement les droits qui dérivent directement de notre dignité naturelle, et qui, pour cette raison, sont universels, inviolables et inaliénables ».
Quels sont ces droits qui dérivent directement de notre dignité naturelle, universels, inviolables et inaliénables ? Ceux consacrés dans la Déclaration et reformulés dans Pacem in terris ? Ou bien ceux établis directement et immédiatement dans la Déclaration, sans précision ultérieure ni réinterprétation ? La Déclaration doit-elle devenir le texte commun de base, indicatif des droits émanant de la dignité naturelle de l’homme, y compris pour les catholiques ? En matière de liberté de conscience, de pensée et de religion, qui forment le substrat des déclarations modernes des droits de l’homme, l’alternative est délicate. […]