La révolution nihiliste ou pourquoi le compromis moderne avec le christianisme est devenu inutile
Le livre Gramsci ou le suicide de la révolution qui vient de paraître en janvier 2010 aux éditions du Cerf est la troisième oeuvre importante d’Augusto Del Noce à être traduite en français. La première, L’irréligion occidentale (Fac-éditions, 1995), était la traduction partielle du gros ouvrage du philosophe sur l’athéisme paru en 1964 sous le titre Il problema del ateismo. La seconde, L’époque de la sécularisation (Editions des Syrtes, 2001), était la traduction intégrale du livre italien L’epoca della secolarizzazione paru en 1970. Ce troisième livre, qui vient donc d’être traduit, parut en Italie seulement en 1978.
Si nous rappelons ces dates de parution, c’est parce que l’on pourrait s’étonner que cette nouvelle publication, qui traite d’une époque importante de la philosophie italienne, celle qui couvre la première moitié du XXe siècle et rend compte de l’influence de Croce et Gentile sur Gramsci, n’ait pas été effectuée entre le premier et le second livre, puisqu’elle éclaire singulièrement la perspective globale dans laquelle
s’inscrit la critique de la modernité opérée par Del Noce dans l’ouvrage sur la sécularisation. Augusto Del Noce n’est pas le premier à développer une critique de la modernité considérée comme le triomphe de « l’esprit bourgeois ». Rappelons, parmi les devanciers célèbres, les ouvrages de Léon Bloy, Werner Sombart, Nicolas Berdiaev. Pour ces auteurs, le « bourgeois » désigne moins une catégorie sociale, en rapport avec la structure de la société divisée en classes, qu’un type d’homme, né en Italie, à la Renaissance, répandu dans toute l’Europe, et qui a développé des valeurs et des vertus très spécifiques : le bourgeois est un homme qui ne croit qu’au monde des choses visibles et utiles, monde dans lequel il cherche à établir sa sécurité matérielle et son bien-être. Il est l’homme de l’avoir, de la propriété, de l’argent ; il est généralement individualiste. S’il conserve une foi religieuse, celle-ci ne concerne que le monde fini : ses vertus sont des vertus « pratiques », utiles pour ce monde fini, centrées sur l’ordre, la tempérance, la maîtrise de soi, la modération en toute chose. Peu à peu, cependant, il va abandonner toute préoccupation religieuse ou transcendante. A partir du XVIIIe siècle, il sera porté vers le déisme, puis vers l’agnosticisme ou l’athéisme. La tentation de l’athéisme est consubstantielle à « l’esprit bourgeois », ce qui sera considéré par Marx comme un progrès historique essentiel que la révolution ne devra pas remettre en cause. […]