Robert Spaemann : Les personnes. Essai sur la différence entre « quelque chose » et « quelqu’un »
Le concept de personne est de ceux qui subissent les remises en cause les plus sévères depuis quelques lustres. L’anthropologie, à laquelle il revient de déterminer la nature de la personne, a en l’occurrence des retombées éthiques, politiques et de civilisation, immenses. L’enjeu peut s’exprimer en quelques questions simples : le concept de personne doit-il être réservé à l’homme ? à partir de quand et jusqu’à quand un individu de l’espèce humaine doit-il être considéré comme une personne ? y a‑t-il des conditions qui autorisent à ne plus considérer un adulte comme une personne ?
La collection Humanités, volontiers ouverte aux auteurs de l’éthique dite de la discussion (Habermas, Apel) et à leurs sympathisants, accueille Robert Spaemann, professeur émérite de l’université de Munich, connu comme penseur catholique et figure éminente de la philosophie morale en Allemagne. Il faut saluer la traduction, par S. Robilliard, de cet ouvrage paru en 1996. Dense, riche, ce livre aborde son sujet sous les angles les plus divers. Ne serait-ce que pour la façon dont Spaemann souligne le rôle important, et néfaste, joué par Descartes et les Britanniques Locke et Hume dans l’histoire du concept de personne, il mériterait le détour. Locke notamment apparaît comme le père putatif (le grand-père à la franciscaine barbe fleurie, Guillaume d’Occam, n’étant pas nommé) de ces dérives qui ont rendu célèbre un Peter Singer. Locke mine la notion de personne en faisant éclater le vivant en une suite d’états singuliers actuels, d’actions séparées constituant une « chaîne d’événements discrets et instantanés » (p. 200). Le rejet de la substance aristotélicienne et de la distinction entre acte et puissance pourra ainsi porter ses fruits amers qui progressivement envahiront l’espace de la discussion, avant de s’inscrire toujours plus, on peut le craindre, dans les législations mondiales. […]