Editorial : Le grand marché de la diversité
La « diversité » est devenue la valeur fondamentale des sociétés libérales dites avancées. Il est étonnant que ceux qui en font un impératif catégorique s’inquiètent, ou feignent de s’inquiéter de la déliquescence du lien social ou de la perte de clarté de « l’identité nationale ». Cette situation n’est pourtant paradoxale qu’en apparence. En effet la fragmentation sociale, culturelle et politique, cause ou conséquence de cette valorisation de la diversité, ne traduit pas le dépassement de la modernité ou son constat d’échec, mais bien plutôt l’une des formes de son projet initial.
Cette reconnaissance de la pluralité des identités vraies ou fabriquées remet en cause le caractère uniformisateur et artificiel de la citoyenneté moderne, dans des proportions qui restent cependant très variables et parfois réversibles : la mise en avant de la laïcité « positive », par exemple, qui prétend promouvoir et réguler la diversité religieuse, n’empêche pas le maintien, voire l’accentuation de la laïcité de combat. Le traitement spécifique que cette dernière réserve au christianisme relève cependant d’une autre logique.
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La reconnaissance d’une « citoyenneté multiculturelle » a pour point de départ la prise de conscience de « l’anomalie » que constitue le fait que les sociétés contemporaines seraient objectivement multiculturelles mais ne se pensent pas politiquement comme telles, alors même que culture et politique sont étroitement liées (W. Kymlicka, La citoyenneté multiculturelle. Une théorie libérale du droit des minorités, La Découverte, 2001). Selon les promoteurs de cette évolution, il faudrait donc intégrer directement les différences dans la sphère politique, pour leur double contribution à la citoyenneté « commune ».
Les minorités culturelles, fondées sur le principe de l’autodétermination, doivent, dit-on, se voir reconnaître un rôle spécifique dans la formation de l’identité politique des citoyens ; cela signifie que les
individus ne deviennent véritablement citoyens qu’à partir du moment où ils sont, au préalable, définis par une « citoyenneté » partielle reconnue dans la sphère publique. Ces mêmes minorités, ou identités particulières, participent à ce titre à la formation politique des individus : elles ne doivent donc pas être tolérées mais promues au centre de l’espace politique qui, en leur absence, resterait un lieu vide soumis aux forces centrifuges insaisissables que constituent les différences strictement individuelles.