Une pédagogie d’autodestruction
La situation particulière de l’Espagne, du point de vue de l’éducation, est très peu connue à l’extérieur mais très importante pour saisir le fond culturel sur lequel il faut comprendre la politique actuelle du gouvernement Zapatero. Il existe en effet un courant doctrinal éducatif, né à l’extérieur, en Allemagne, dans le creuset maçonnique, autour du philosophe utopiste Friedrich Krause (1781–1832), qui élabora une synthèse du rousseauisme (de L’Emile) et de l’hégélianisme dans la version de Schelling. Par l’intermédiaire d’un disciple espagnol, Sanz del Río (1817–1869), il en a été tiré une théorie d’éducation spécifique, le krausisme, d’où va naître une sorte d’académie, l’Institución Libre de Enseñanza, foyer d’élaboration d’une doctrine à la fois non directive et élitiste. Après avoir été un aréopage de penseurs, l’initiative déboucha sur la création d’une école expérimentale, sans programmes, sans notation, sans matières définies. Cette Institution a perduré, mais connu des hauts et des bas selon les moments, ses périodes fastes étant la IIe République (1931–39), puis la fin du franquisme et le début de la Transition.
Il s’avère que ce courant a eu et conserve une très grande influence, formant des générations d’enseignants. Son extension a tiré profit de la démocratisation de l’enseignement et donc de l’enseignement de masse. Enfin il a trouvé dans le PSOE un lieu d’élection. Si bien qu’il représente aujourd’hui la conception hégémonique, adoptée activement par le ministère de l’éducation, dans les universités publiques espagnoles, l’enseignement secondaire public mais aussi l’enseignement privé sous contrat d’association. La facilité avec laquelle la gauche espagnole s’est appropriée les postulats postmodernes ou relativistes, qui contraste avec la difficulté d’adaptation dans ce domaine des autres gauches occidentales, s’explique par la préexistence d’une culture qui la disposait en ce sens. […]