Revue de réflexion politique et religieuse.

Une âme vide dans un corps sain

Article publié le 28 Sep 2010 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

CATHOLICA — La déshu­ma­ni­sa­tion repré­sente l’un des thèmes prin­ci­paux de votre réflexion. Aux livres tels Le Déshu­main (2001), Le Sport contre les peuples (2002), Nou­velles figures de l’homme (2004), Le sport est-il inhu­main ? (2008), s’ajoute votre volume récem­ment paru, Ego­bo­dy. La fabrique de l’homme nou­veau. Que signi­fie cet homme nou­veau que vous bap­ti­sez ain­si d’un nom bar­bare mais qui lui convient par­fai­te­ment ?
Robert Rede­ker — L’être humain contem­po­rain orga­nise son exis­tence selon un nou­veau rap­port au corps. Nous vivons le temps des crèmes anti-âge, du Via­gra, des cel­lules-souches, des greffes du visage, des mains, du pénis, de la cor­née, le temps où l’alimentation est pré­sen­tée dans la publi­ci­té et dans les super­mar­chés avec des argu­ments phar­ma­ceu­tiques. Très pro­chai­ne­ment des organes com­plexes pour­ront être chan­gés, à la façon de pièces dans une auto­mo­bile. Cet être traite aus­si son moi – objet de la psy­cho­lo­gie et de la psy­cha­na­lyse – comme s’il s’agissait de son corps, l’amalgamant à lui. Pour nos contem­po­rains, le corps est la même chose que ce que fut le mar­xisme pour Sartre : « l’horizon indé­pas­sable de notre temps ». Pré­ci­sons : l’horizon indé­pas­sable du temps, de la vie. Ce fan­tasme de « l’horizon indé­pas­sable » a un sens. Celui-ci : notre époque est celle d’une dégra­da­tion – plu­tôt que d’une muta­tion – anthro­po­lo­gique. Un auteur comme Her­bert Mar­cuse – pen­seur freu­do­marxiste dont je ne par­tage pour­tant ni le pro­gres­sisme ni le fana­tisme de « la libé­ra­tion » – nous met sur la voie en for­geant le concept d’« homme uni­di­men­sion­nel ». L’homme n’aurait plus qu’une seule dimen­sion – voi­là qui exprime bien une dégra­da­tion. Ce phi­lo­sophe, qui connut son heure de gloire dans les années 60–70, attri­bue aux pro­grès tech­niques, aux tech­no­lo­gies de la com­mu­ni­ca­tion, à la consom­ma­tion effré­née cet enfer­me­ment de l’homme dans une seule dimen­sion, celle de la pro­duc­tion-consom­ma­tion. Il ne s’agit pas de le suivre dans ses ana­lyses, mais de signa­ler en quoi le syn­tagme « homme uni­di­men­sion­nel » est heu­ris­tique. Il sug­gère un oubli, qui se serait appro­fon­di dans les deux der­niers siècles. Nous avons oublié que l’homme ne vivait pas sur un seul plan, ni même sur deux, mais sur trois plans. […]

-->