Route commune vers l’Etat mondial ?
L’attente d’un super-Etat mondial nourrit les utopies au même titre que le rêve d’édifier la Cité parfaite. Par contrecoup, les anti-utopies littéraires annoncent un monde futur dans des termes qui paraissent exagérés et terrifiants au moment où elles sont écrites, mais au fur et à mesure jugés clairvoyants sous quelques rapports : ainsi par exemple Nous autres, d’Evgueni Zamiatine (1920), avec son « Etat unique » qui apporte le bonheur, Le meilleur des mondes, d’Aldous Huxley (1932), qui annonce la biocratie universelle, 1984 de George Orwell, et son fameux Big Brother. A leur tour, ces fictions inquiétantes viennent nourrir les fantasmes conspirationnistes auxquels l’Internet fournit des moyens inédits de diffusion et d’amplification. Par nouvel effet de réaction, la diffusion surabondante de ces représentations aussi effrayantes qu’imaginaires permet de faire oublier, bien qu’elles s’étalent sous nos yeux, les tentatives effectives d’unification du monde sous direction, ou comme on dit aujourd’hui avec une imprécision caractéristique du moment, sous gouvernance unifiée. Tout se passe comme si deux réalités parallèles se développaient : d’un côté, une réalité fantastique qui envoûte les uns et fait sourire les autres, et d’un autre côté, une réalité politique, économique, culturelle bien concrète, faisant l’objet d’analyses sérieuses, de programmes et de réalisations effectives.
En 1999, année de son retour en Russie, Alexandre Zinoviev avait publié chez l’Age d’Homme, à Lausanne, l’un de ses livres les plus achevés, La Grande rupture. Sociologie d’un monde bouleversé. Il y analysait les transformations majeures, sur le plan institutionnel en particulier, ayant suivi la décomposition du régime soviétique et la fin de la bipolarisation des relations internationales. Peu après arrivera l’attentat du 11 septembre 2001 qui ne fera que confirmer certaines de ses analyses, déjà annoncées puis reprises dans plusieurs autres ouvrages. […]