Au sujet de la « réforme de Bologne »
En application de la loi inexorable qui régit les relations entre les Etats-Unis et l’Europe, qui voit nos éminents dirigeants critiquer les Américains avec autant de verve qu’ils manifestent de servilité à imiter leur comportement, un ensemble de politiciens du vieux continent ont signé à Bologne, en 1999, des accords signifiant concrètement la substitution du modèle d’études supérieures anglo-saxon au modèle universitaire européen. Il y a là un fait tellement évident qu’il est inutile d’en discuter. Le concept traditionnel d’Université – universitas – né à l’ombre des monastères et des cathédrales médiévales défendait une conception généraliste en faveur des causes ultimes du savoir, incompatible avec la civilisation actuelle, étrangère à toute préoccupation visant à comprendre le pourquoi des phénomènes qu’elle étudie et dont les savoirs sont sujets à un haut degré de sectorisation et de spécialisation. Aujourd’hui ce n’est pas l’université qui intéresse, mais l’école de commerce, la business school. L’abandon du modèle universitaire traditionnel et son remplacement par le modèle anglo-saxon se présente donc comme une étape inévitable à l’intérieur du mouvement général de décadence qui détruit la société occidentale, avec plus d’intensité encore depuis la Première Guerre mondiale, même si les origines de cette décadence remontent plus loin dans le temps – mais ce n’est pas ici le sujet. Des temps meilleurs viendront, même s’il ne nous appartiendra pas de les voir.
Revenons à ce qui a été signé à Bologne. L’Espagne ayant fait partie des signataires, la réforme devait y être appliquée. Cependant ce qui l’a été n’est pas conforme à l’accord qui s’y est conclu, qui évoquait encore la culture et l’excellence ; c’est le fruit de l’interprétation sui generis que nos autorités académiques en ont fait.
Le processus s’est déroulé par étapes successives. Tout d’abord la Déclaration de Bologne 19 juin 1999), qui fait adopter le modèle américain à l’Europe, et veut faciliter la mobilité territoriale des professeurs, pour créer un esprit d’enseignement commun, cela sans distinction aucune entre matières ni aires culturelles. Or si la chimie est la même partout, il n’en va pas de même des humanités pour lesquelles une telle indifférenciation est aberrante. Et justement le Royal Decreto de 2007, les pressions du corps enseignant aidant, a joué dans le sens du pire : égalité de traitement entre les savoirs, accroissement du nombre de matières dans un premier cycle de quatre ans, durée et temps d’étude réduit à un an pour le second cycle. La Conférence des recteurs (CRUE) a encore aggravé le mal : distribution des 240 « crédits » en quatre séances chacun toutes matières confondues, cours et travaux dirigés confiés aux mêmes personnes faute de moyens et de personnel. Tout cela va à l’encontre de la réalité, notamment du fait que les étudiants arrivant à l’université n’ont pas le niveau requis pour assimiler en si peu de temps ce qu’on exige d’eux.
Est-il possible de prévoir les effets de cette réforme ? Où donc s’arrêtera cette révolution ? Les plaisanteries sur la difficulté de connaître l’avenir sont connues, mais malgré tout je prends le risque. Sans prétention d’exhaustivité, considérons ici ce qui adviendra inévitablement, à moins qu’avant qu’il ne soit trop tard une contre-réforme prenne le dessus.