Capitalisme cognitif et crise de la formation
Il n’est guère d’universitaire ou de responsable d’activité économique ou publique qui, confronté au recrutement de personnes issues des formations de l’enseignement supérieur, n’avoue son étonnement devant l’absence très fréquente, parfois quasi totale malgré les diplômes acquis, de ce qui est censé être le niveau minimal de culture générale permettant d’échanger dans un langage commun. Il ne s’agit pas de verser ici dans une vaine déploration, et de se lamenter sur la disparition d’un monde idéalisé dans lequel le « capital culturel » moyen aurait été réputé nettement meilleur que l’actuel. A certains égards, il n’est pas faux de dire qu’avec l’université de masse, la quantité de connaissances, leur exhaustivité – favorisée par l’extension du temps de travail – et le respect de certaines exigences technologiques ont augmenté. Le problème est autre : il porte sur l’assimilation de ce qui est transmis ou acquis, et surtout sur la capacité de juger et d’utiliser les connaissances acquises en vue d’une fin rationnellement et moralement fondée. Là le déficit est palpable, et massif. Si une échelle de l’importance des connaissances et des valeurs susceptibles d’être transmises a toujours existé, permettant la structuration de toute formation intellectuelle, c’est visiblement cette échelle qui a profondément changé, au point de donner l’impression d’avoir été purement et simplement inversée, les acquis n’étant plus ordonnés à une fin, ou pour mieux dire, susceptibles d’être mis au service de n’importe quelle fin.
Les institutions scolaire et universitaire sont, par définition, des terrains d’analyse, plus encore que des vecteurs, de ces transformations ; il en va de même, à des degrés divers, d’autres institutions qui étaient réputées assurer une part de la mission de transmission, grandes écoles, écoles militaires. […]