L’Amérique, modèle pour l’Europe ?
Honnis par une droite conservatrice qui y voit le produit d’une rébellion contre l’orthodoxie romaine, critiqués par une gauche qui en approuve le matérialisme mais en conteste l’application, attaqués par un tiers-monde qui secrètement les envie, ou au contraire ouvertement admirés par une droite adepte du libéralisme économique comme par une Eglise qui en fait les promoteurs d’un système de coexistence pacifique des religions, les Etats-Unis d’Amérique suscitent toujours les passions mais jamais l’indifférence. Je crois qu’ils ne méritent ni l’excès d’honneur ni l’indignité que l’opinion publique leur prodigue si généreusement.
S’il est une idée qui a présidé à la naissance comme à la maturation des Etats-Unis d’Amérique, s’il est un principe que les Américains ont constamment proclamé vouloir défendre et faire triompher, d’abord sur leur sol et ensuite sur la terre entière, une évidence autour de laquelle est censé se cristalliser le consensus de tous les citoyens, c’est bien, comme le disait Jefferson, que les hommes ont été dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables dont le premier, après la vie, est la liberté. Non pas cette liberté chérie des révolutionnaires français, clamant qu’il suffit de rendre les hommes égaux pour qu’ils deviennent libres, mais une liberté conçue, au contraire, comme le principe de leur égalité, car, comme le pensait en somme Jefferson, un homme libre ne peut être que l’égal d’un autre homme libre, tandis qu’ils peuvent être égaux dans la servitude. C’est de la Réforme qu’est née l’Amérique, cela est une évidence historique, mais c’est aussi un principe d’explication de l’histoire américaine. Ce que les Américains voulurent dès l’origine n’est pas l’égalité, mais qu’il ne fût pas possible d’imposer à un homme de croire à une idée à laquelle sa conscience ne le portait pas à croire. […]