Lecture : L’homme et l’animal en débat
L’animal est-il une personne ? La réponse affirmative à cette question mal posée a fourni à Yves Christen, spécialiste des neurosciences, la matière d’un épais ouvrage.
Yves Christen est un ami des bêtes, agréable à lire lorsqu’il nous parle d’elles. Pour le reste, son livre est un tissu de pétitions de principe, de contradictions internes, de sophismes et de contresens philosophiques. Il prend pour point de départ un « matérialisme irréprochable » (p. 359). Manifestement fier de sa formulation, il nous assène à deux reprises : « Le cerveau secrète la pensée comme le rein l’urine » (pp. 310 et 361). Il aurait dès lors pu se dispenser d’un gros volume : si tout est matériel, on explique immédiatement l’homme sans l’homme et la vie sans la vie. Un paragraphe aurait suffi à tout dire. Christen n’est pourtant pas parvenu à se taire ; il consacre près de six cents pages à défendre laborieusement des conclusions qui pourraient se déduire aussitôt de ses présupposés ; cela rend son matérialisme suspect d’inconséquence.
D’ailleurs, pourquoi défendre la dignité du singe plus que de la molécule ? Qu’est ce que cette éthique non fondée ? Dans sa déclaration sur les droits des grands singes (pp. 277–278), Christen en appelle à la création d’orphelinats pour primates, et de maisons de retraite où ils seraient traités « avec des égards comparables à ceux dont bénéficient les personnes âgées » ; il leur reconnaît le droit à l’euthanasie « pour mettre fin à leur souffrance », sans noter que cela ne correspond à aucune demande de leur part (à notre connaissance, l’animal arrête parfois de se nourrir, mais ne se suicide pas). Mais avant tout Christen veut interdire qu’on mange du singe. Sachant qu’il prêche parallèlement pour la reconnaissance d’un esprit chez les invertébrés (pp. 334 ss.), on peut en conclure qu’il est soit végétarien, soit mauvais logicien. Il faut hélas ! pencher pour la deuxième hypothèse. Et puis, si l’on reconnaît une conscience aux mollusques, pourquoi la refuser aux végétaux ? Au détour d’une page, il avoue avec candeur : « Les motifs qui poussent à la défense de l’animal demeurent encore obscurs et darwiniennement parlant, je ne suis pas certain de savoir les interpréter de façon satisfaisante » (p. 373). Effectivement. Nous attendons avec impatience son prochain ouvrage pour savoir quel est l’avantage que lui procurera son refus de se nourrir. […]