Neil Postman : Se distraire à en mourir
La republication de cet ouvrage – écrit en 1985 et traduit l’année suivante en français – laisse un sentiment étrange, nonobstant la préface plutôt banale de Michel Rocard. Chercheur américain spécialiste des questions de communication, Postman (1931–2003) était assez proche de Noam Chomsky par ses analyses sinon de sa mouvance. Son propos, soigneusement articulé en dix chapitres, vise à retracer la manière dont la télévision (comme technique de communication) s’est progressivement substituée à toutes les formes d’expression de la pensée, écrite comme orale, notamment en la désocialisant par sa dimension complètement passive – problème auquel il est particulièrement sensible. Il suit ainsi, aux Etats-Unis, le passage des conférences, débats animés, au journal imprimé et enfin, au système du « show » télévisé permanent réducteur de contenu, destructeur de capacités d’analyse et de compréhension.
La difficulté de ce genre d’analyses, déjà assez datées et finalement assez peu originales, est d’être très limitées du fait de ne cibler que l’aspect culturel du problème, laissant complètement de côté sa dimension économique et politique. La réduction de la vie culturelle dans le monde actuel tient bien moins de l’écrasement, de l’extérieur, par des techniques de communication, que de l’épuisement de l’intérieur d’une pensée occidentale tournée vers elle-même et qui, bien avant d’inventer la télévision, avait visé à progressivement se séculariser totalement, c’est-à-dire à se suicider.