Autour des régimes totalitaires
On sait qu’avec la chute du mur de Berlin, nombreux furent en Europe de l’Ouest les esprits qui crurent, non sans naïveté, que toutes les pesanteurs et tous les interdits qui faussaient les débats sur le totalitarisme – non pas tant, évidemment, sur la théorie et le concept que sur les régimes dits totalitaires et leurs pratiques – allaient être enfin refoulés. Venant quelques années après l’« effet Soljénitsyne », la chute du mur et le délitement du bloc de l’Est semblaient autoriser les plus grands espoirs. En réalité, malgré la parution en l’espace d’un lustre de trois livres qui resteront comme autant de bornes milliaires – Le Passé d’une illusion (1995) de François Furet, Le Livre noir du communisme (1997) sous la direction de Stéphane Courtois, enfin la traduction française en 2000 du grand livre d’Ernst Nolte, La Guerre civile européenne 1917–1945 –, la situation n’a pas fondamentalement changé, du moins en France. On ne reviendra pas ici sur les raisons anciennes, profondes, structurelles, qui expliquent que notre pays est, à cet égard, une exception en Europe. Elles ont fait l’objet de plusieurs livres et articles, dont certains ont paru dans cette revue. On illustrera plutôt la rémanence des pesanteurs conformistes à travers le cas d’un ouvrage récent qui prétend pourtant s’en affranchir, avant de faire ressortir, par contraste, toute l’originalité et toute la richesse qui se dégagent d’une étude ancienne, mais traduite en français il y a peu, sur l’interprétation en profondeur du fascisme comme phénomène européen.
Abusivement présenté comme un livre de l’auteur, alors qu’il eût été plus juste de faire figurer sur la couverture la mention « Sous la direction de » ou encore « Textes présentés par », l’ouvrage de Bernard Bruneteau est composé d’un long essai introductif (pp. 9–86), suivi d’une anthologie de plus de cinquante textes – extraits, souvent brefs, d’ouvrages ou d’articles parus entre 1930 et 1942, chaque texte étant précédé d’une notice bio-bibliographique. Auteur d’un intéressant ouvrage intitulé L’« Europenouvelle » de Hitler, paru en 2003 dans la même collection « Démocratie ou totalitarisme » fondée et dirigée par Stéphane Courtois (collection passée depuis des éditions du Rocher aux éditions du Cerf), Bruneteau, en ouverture de son essai, n’hésite pas à parler (après bien d’autres), à propos du cas de Nolte en France, d’« excommunication » (p. 13) et s’interroge sur les raisons des tentatives pour euphémiser et relativiser la criminalité des régimes communistes. Mais, ici comme sur d’autres points que l’on va voir, l’auteur, après avoir fait deux pas courageux en avant, s’empresse d’en faire trois en arrière, comme pour bien montrer qu’il n’entend pas franchir vraiment les limites du politiquement correct. C’est ainsi qu’il tourne autour du pot pour expliquer l’excommunication de Nolte en France, alors que celle-ci n’a fondamentalement qu’une seule et unique raison : la présence massive d’anciens communistes ou de crypto-communistes dans le système universitaire, dans le monde de l’édition et dans l’univers des médias. […]