De David à Saatchi : Conditions d’une issue
Le titre d’un ouvrage récemment publié en Italie est explicité par sa couverture où sont confrontés un chef d’œuvre de David : La mort de Socrate et la tête de vache en putréfaction de Damien Hirst, le soi-disant artiste lancé par le publicitaire Saatchi. Avec ce gros volume, Raimondo Strassoldo nous offre un traité sur l’art contemporain qui va au-delà de son ambition sociologique proclamée. Une fois le livre refermé, on a le sentiment qu’il a tenu ses promesses et que son envergure lui a permis de ne rien laisser dans l’ombre qui touche à son objet. Sa lecture est passionnante et même le public averti apprendra beaucoup en l’étudiant. Je ne cacherai pas que ma sympathie pour Strassoldo ne tient pas seulement aux qualités de son écrit auxquelles je me plais à rendre hommage : son style fluide et plein de vivacité, son ton sans prétention, sa vaste érudition, mais surtout au fait que nous sommes compagnons d’armes contre un ennemi qu’il nomme l’AC (pour « art contemporain »).
C’est pourtant là que commencent aussi nos désaccords. Ils portent sur le nœud entre notions et périodisation. La matière de l’histoire est constituée d’événements ; ceux-ci périodisent le devenir, ils introduisent un avant et un après entre lesquels il y a continuité et discontinuité. En l’occurrence, la première est celle de la tradition artistique, la seconde tient aux mutations stylistiques et autres qui s’inscrivent dans cette tradition. Face à cette problématique, la pensée de Strassoldo manifeste un flottement fâcheux. A la page 48, il est écrit ceci : « Par art contemporain nous entendons tout l’art depuis 1780 jusqu’à 2007 ». N’y a‑t-il pas une contradiction avec ce qu’on lit dans le chapitre « Che fare ? », à la fin du livre, où l’auteur déclare très justement que l’AC n’est pas de l’art du tout et doit être désigné comme non-art ? On retrouve cette même affi rmation aux pages 13, 47 et ailleurs. Or ni la peinture de David ni celle du XIXe siècle n’est du non-art. Strassoldo le sait bien, lui qui fait naître l’AC en 1917 avec le dadaïsme et qui souligne la distance entre « le très noble Serment des Horaces » et « les horreurs inénarrables de la collection Saatchi » (p. 31), ce qui ne l’empêche pas d’affi rmer qu’il y a entre les deux des éléments de continuité (on ne sait lesquels). Pourtant, selon Strassoldo, l’art du XIXe siècle y compris celui des Impressionnistes est en continuité avec la tradition remontant à la Renaissance. La pensée de Strassoldo me semble sur ce point obscure et prise dans des contradictions inextricables. Ayant dépouillé environ 2 000 ouvrages, il a été soumis à un feu croisé de sollicitations intellectuelles dont il n’a pu démêler l’écheveau ; mettre en fiches c’est bien, résoudre les problèmes théoriques, c’est mieux. […]