Domination culturelle et privatisation de la religion
La notion de domination a une origine hégéliano-marxiste. Elle signifiait initialement la position de supériorité économique d’une classe possédant les moyens de production (la bourgeoisie) sur une autre ne possédant que sa force de travail (le prolétariat). Avec l’évolution du marxisme, surtout chez Lénine et Gramsci, la domination a été conçue comme hégémonie, notion plus ouverte non limitée à une classe, s’appliquant aux élites et aux groupes sociaux en général, et pas seulement à la seule matière économique – il peut s’agir d’une domination militaire ou culturelle. Il existe donc un concept abstrait de domination comme capacité d’imposer une volonté, que ce soit par la force, le pouvoir, ou bien moyennant acceptation, par autorité au sens de Weber.
Dans la domination, par conséquent, un groupe, une institution, un parti impose aux autres une conception, un point de vue ou une perspective sur un aspect de la vie, à condition de posséder les moyens de le faire (information, communication, publicité). La situation peut devenir diffuse, impersonnelle, dans ce cas on arrive à une domination sociale généralisée, une conception sociale dominante ; les sciences sociales la considèrent d’ailleurs comme une donnée inévitable de la vie sociale.
La domination produit un mode de penser qui se transmet à l’ensemble de la société et qui est accepté et intériorisé par tous. Trois éléments importants permettent de mieux comprendre cela. Le premier – qui sera développé un peu plus loin – est la négativité : la pensée dominante délimite avec précision ce qui est imposé et ce qui est rejeté (ce qui est aliéné, selon Hegel). Le second se réfère à la subjectivité, et le troisième est la relativité. Examinons cela plus attentivement.
La subjectivité est liée à la rationalité typique de la modernité, et en conséquence elle caractérise aussi la pensée moderne dominante. Ce sont là deux caractères constitutifs, mais aussi un trait propre de toute conception socialement dominante. Cela est dû au fait que, dans le cadre de ce que l’on veut montrer ici, les choses cessent d’être l’objet du savoir humain, dans la mesure où elles ne transmettent rien. Dans la tradition aristotélicienne et thomiste régnait une unité transcendantale entre le sujet et l’objet capable de livrer aussi bien la forme (la connaissance) que la fin (l’action morale) des choses ; c’est cela qui disparaît dès que commence le monde moderne, qui voit se rompre le lien entre les deux réalités. Les choses cessent de « parler à l’homme », de sorte que c’est ce dernier qui doit donner forme et finalité au monde à partir de son individualité, qu’il s’agisse de connaissance ou de morale. […]