Revue de réflexion politique et religieuse.

Domi­na­tion cultu­relle et pri­va­ti­sa­tion de la reli­gion

Article publié le 10 Juil 2011 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

La notion de domi­na­tion a une ori­gine hégé­lia­no-mar­xiste. Elle signi­fiait ini­tia­le­ment la posi­tion de supé­rio­ri­té éco­no­mique d’une classe pos­sé­dant les moyens de pro­duc­tion (la bour­geoi­sie) sur une autre ne pos­sé­dant que sa force de tra­vail (le pro­lé­ta­riat). Avec l’évolution du mar­xisme, sur­tout chez Lénine et Gram­sci, la domi­na­tion a été conçue comme hégé­mo­nie, notion plus ouverte non limi­tée à une classe, s’appliquant aux élites et aux groupes sociaux en géné­ral, et pas seule­ment à la seule matière éco­no­mique – il peut s’agir d’une domi­na­tion mili­taire ou cultu­relle. Il existe donc un concept abs­trait de domi­na­tion comme capa­ci­té d’imposer une volon­té, que ce soit par la force, le pou­voir, ou bien moyen­nant accep­ta­tion, par auto­ri­té au sens de Weber.
Dans la domi­na­tion, par consé­quent, un groupe, une ins­ti­tu­tion, un par­ti impose aux autres une concep­tion, un point de vue ou une pers­pec­tive sur un aspect de la vie, à condi­tion de pos­sé­der les moyens de le faire (infor­ma­tion, com­mu­ni­ca­tion, publi­ci­té). La situa­tion peut deve­nir dif­fuse, imper­son­nelle, dans ce cas on arrive à une domi­na­tion sociale géné­ra­li­sée, une concep­tion sociale domi­nante ; les sciences sociales la consi­dèrent d’ailleurs comme une don­née inévi­table de la vie sociale.
La domi­na­tion pro­duit un mode de pen­ser qui se trans­met à l’ensemble de la socié­té et qui est accep­té et inté­rio­ri­sé par tous. Trois élé­ments impor­tants per­mettent de mieux com­prendre cela. Le pre­mier – qui sera déve­lop­pé un peu plus loin – est la néga­ti­vi­té : la pen­sée domi­nante déli­mite avec pré­ci­sion ce qui est impo­sé et ce qui est reje­té (ce qui est alié­né, selon Hegel). Le second se réfère à la sub­jec­ti­vi­té, et le troi­sième est la rela­ti­vi­té. Exa­mi­nons cela plus atten­ti­ve­ment.

La sub­jec­ti­vi­té est liée à la ratio­na­li­té typique de la moder­ni­té, et en consé­quence elle carac­té­rise aus­si la pen­sée moderne domi­nante. Ce sont là deux carac­tères consti­tu­tifs, mais aus­si un trait propre de toute concep­tion socia­le­ment domi­nante. Cela est dû au fait que, dans le cadre de ce que l’on veut mon­trer ici, les choses cessent d’être l’objet du savoir humain, dans la mesure où elles ne trans­mettent rien. Dans la tra­di­tion aris­to­té­li­cienne et tho­miste régnait une uni­té trans­cen­dan­tale entre le sujet et l’objet capable de livrer aus­si bien la forme (la connais­sance) que la fin (l’action morale) des choses ; c’est cela qui dis­pa­raît dès que com­mence le monde moderne, qui voit se rompre le lien entre les deux réa­li­tés. Les choses cessent de « par­ler à l’homme », de sorte que c’est ce der­nier qui doit don­ner forme et fina­li­té au monde à par­tir de son indi­vi­dua­li­té, qu’il s’agisse de connais­sance ou de morale. […]

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