Église catholique et démocratie libérale. L’obstination d’un enfermement
Les spécialistes de l’histoire des idées politiques trouvent souvent une stimulation à leurs recherches dans la découverte des étapes d’une pensée, des lignes de crêtes, des ruptures et des basculements, selon les époques, entre deux ou plusieurs courants et écoles ; savoir comment l’affrontement, la disputatio ont pu, notamment selon les contextes historiques, apporter des aménagements à un corpus intellectuel existant, ou encore renverser la prééminence d’une doctrine sur une autre et surtout apprécier si cette compétition fut source d’enrichissement ou de régression.
Dans le domaine religieux de la définition de l’objet de la foi, le relativisme devrait nécessairement être absent des conflits d’interprétation, puisqu’il ne peut s’accommoder de l’immuabilité des références doctrinales et de l’existence de principes permanents. Lorsque par le biais justificatif de la notion de progrès, certaines pensées politiques s’attaquent à ces derniers, la logique ordonne alors une guerre à mort entre ces systèmes irréductibles. Pourtant, sur la rive des croyants, nombreux sont ceux qui, à toutes époques, rêvent à la quadrature du cercle, portent en eux une irrépressible envie de réunir les inconciliables. C’est un peu l’histoire récente de ces tentatives qu’Emile Perreau-Saussine a voulu restituer dans l’ouvrage Catholicisme et démocratie. Une histoire de la pensée politique. Spécialiste de l’histoire des idées politiques en France, puis de la philosophie politique libérale, il s’était notamment attaché à décrire l’évolution des relations entre l’Eglise et le libéralisme politique. Il fut un intervenant très remarqué des cercles intellectuels libéraux français (Fondation pour l’innovation politique, revue Commentaire, etc.) et aux Etats-Unis.
Dans Catholicisme et démocratie, c’est de Vatican I à Vatican II – en fait, jusqu’à nos jours –, que cet auteur développe, dans un style narratif maîtrisé, une analyse des débats politiques qui ont secoué le monde catholique, essentiellement, on s’en doute, autour de la question démocratique. L’ouvrage s’articule en deux parties : « Un nouveau rôle pour la papauté aux origines de Vatican I » et « Un nouveau rôle pour les laïcs aux origines de Vatican II », dont les intitulés résument déjà l’orientation très institutionnaliste de l’approche choisie par l’auteur, lequel alterne analyses très fines des débats politiques au cœur de l’Eglise, et incompréhension récurrente de la nature également sociale, et donc indirectement politique de l’Eglise.
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La problématique de la première partie est abordée de manière apparemment classique, et les débats et auteurs défilent rapidement sous la plume de l’auteur. L’on survole de façon assez convenue la longue période allant de Bossuet à aujourd’hui.
Malgré tout, même si le souci pédagogique s’impose et si la nécessité de ne pas trop faire interférer contexte historique et débats politiques est évidente, le lecteur ne peut s’empêcher de relever certains raccourcis et jugements rapides révélant une orientation très volontariste de la démonstration. Mais surtout, la justification du terme du processus observé révèle infine la volonté de limiter à l’extrême le rôle social et politique de l’Eglise et de la religion dans la Cité à celui d’une œuvre de… modération2. Et c’est bien à l’aune de cette interprétation de l’auteur que l’ensemble de l’ouvrage doit être étudié, ce qui, contrairement à ce qu’une présentation très formalisée pourrait laisser penser, en fait un essai assez clairement engagé. […]