Iain Sinclair : London Orbital
Les paysages urbains représentent d’excellents révélateurs de la condition humaine à l’ère de la modernité tardive. Les formes spatiales résultant de la mondialisation, de la migration des emprises commerciales depuis les centres urbains vers les zones périphériques, constituent spécialement autour des grandes agglomérations un univers visuel prégnant, créent une atmosphère de territoires fortement déstructurés par les grandes rocades autoroutières. Plusieurs auteurs (Henri-Pierre Jeudy, Bruce Bégout…) se sont intéressés à ces transcriptions physiques de la modernité tardive, ces réalisations visibles du système de consommation, mais jamais aussi systématiquement que ne le fait Iain Sinclair, surtout d’un point de vue critique et esthétique.
Le travail de cet auteur, romancier anglais, est considérable. En plus de 650 pages découpées en huit étapes, il livre le résultat de son choix subit de parcourir à pied, durant plusieurs mois, toute la grande rocade (la M 25) contournant la ville de Londres, annotant froidement et méthodiquement les univers hantés qu’il traversait. Son roman, presque un récit de voyage, révèle de manière particulièrement puissante la transition des villes hallucinées de l’ère industrielle (mises en poème de manière assez impressionnante par le Belge Emile Verhaeren) vers l’ère des périphéries urbaines fades, angoissées, chaos extrême de fragments hétérogènes de territoires, de modes de vie, où les résidus quasi fossiles d’agriculture de la vieille ère rurale côtoient les déchetteries, les lieux de la consommation de masse (centres commerciaux), les asiles psychiatriques, les terrains vagues, les sites pollués, les gares de triage et les lotissements résidentiels (parfois sécurisés), bref, une prolifération de choses, d’activités et d’individus éjectés, pour des raisons toutes différentes les unes des autres, des grands centres urbains. […]