La guerre entre utopie pacifiste et Realpolitik
Les conflits actuels nous ramènent en permanence vers un fait évident : la question de la guerre se trouve nécessairement au coeur de tout système de relations internationales. La récente publication de deux essais de Carl Schmitt (1888–1985) ((. Carl Schmitt, Guerre discriminatoire et Logique des grands espaces, Krisis, 2011, 289 p., 25 €. Préface de Danilo Zolo, notes et commentaires de Günter Maschke. Traduction de l’allemand par François Poncet.)) vient opportunément alimenter la réflexion sur ce sujet ; les textes bénéficient d’une introduction par Danilo Zolo, professeur de philosophie du droit connu pour son gauchisme anti-interventionniste ; de riches annotations par Günter Maschke, héritier spirituel de Schmitt, apportent d’appréciables compléments.
Ces deux essais sont signés. Sans être un maître – loin s’en faut – Carl Schmitt est un grand intellectuel conservateur au style dense, parfaitement à l’aise dans l’abstraction, et qui impressionne par sa capacité à identifier les conséquences pratiques que telle théorisation boiteuse impliquera tôt ou tard.
Ces deux essais sont également datés et situés. Ils remontent à 1937–1942. Typiques d’un certain entre-deux-guerres, ils illustrent ce que put être une intériorisation allemande du premier conflit mondial, du traité de Versailles, de l’occupation de la Ruhr, des pas-de-deux étatsuniens entre isolationnisme et universalisme, des atermoyants efforts de la Société des Nations (SdN), du pacte Briand-Kellogg (1928–1929) qui déclarait la guerre hors la loi, de la conquête italienne de l’Abyssinie, etc. Là où nous soulignerions volontiers que, par souci de limiter un certain ascendant français, la Grande-Bretagne s’est souvent trompée de politique étrangère entre 1918 et 1939, Schmitt ne retient ainsi que le versant anti-allemand de la politique internationale, ce qui est au moins injuste. […]