Lecture : Le véritable Hans Küng
Hans Küng, souvent encore qualifié de « théologien catholique », n’est pas vraiment un inconnu. Les deux volumes de ses Mémoires ((. Hans Küng, Mémoires I. Mon combat pour la liberté (Cerf, 2006, 44 €), et Mémoires II. Une vérité contestée (Cerf, 2010, 48 €). Pour les références nous avons choisi d’indiquer le numéro du volume des mémoires (I ou II) suivi du numéro de page correspondant.)) , qui représentent un total de plus de mille deux cents pages, méritent cependant une lecture dans le détail même s’il est parfois difficile d’y rester accroché sans quelque agacement ((. Nous en donnons ci-après un aperçu qui ne se veut pas exhaustif, un compte rendu complet étant impossible à réaliser en quelques pages.)) .
Il y a beaucoup de choses que ce prêtre combattant pour la « liberté » et la « vérité » n’aime pas et qui le mettent de facto hors de l’Eglise catholique romaine à laquelle il prétend encore appartenir. Et même s’il dit s’efforcer à « l’objectivité la plus grande possible, y compris envers [s]es adversaires » (I, 9), le ton n’est pas des plus posés. Presque chaque page est en effet empreinte d’une sorte de hargne inextinguible.
Séduit par le bouddhisme, par l’islam même (il reproche notamment à J. Ratzinger son « désintérêt presque total pour un islam pourtant très marqué par ce christianisme originel » ; II, 185), fasciné par Sartre, Teilhard de Chardin, Hegel, les républicains espagnols (il s’élève en particulier contre la béatification des martyrs catholiques, I, 189), il ne croit pas au Saint-Esprit (évoquant « la confiance passive et démesurée en l’Esprit Saint » – I, 297), refuse les indulgences, pourfend les exercices de saint Ignace (II, 82), en particulier l’image totalement dépassée à ses yeux des deux étendards ou camps (celui de Satan et du Christ-Roi), n’aime visiblement pas la sainte Vierge, cette dame « soi-disant apparue à la jeune fille ignorante qu’était Bernadette Soubirous » (son passage sur les apparitions de Lourdes – I, 191–192 – et les différents titres de Reine du Ciel ou Médiatrice de toutes grâces, est assez éloquent), ne supporte pas l’enseignement de l’Eglise catholique en matière de moeurs (voir en particulier son passage – II, 77–78 –, sur l’encyclique Casti Connubii, publiée par Pie XI « comme toujours convaincu d’être le seul détenteur de la vérité » et qui ne soupçonne pas un instant qu’il y a là un deuxième cas Galilée ; mais également en de multiples endroits à propos d’Humanae vitae ou du célibat ecclésiastique), rejette l’infaillibilité pontificale et enfin se démarque de son milieu d’origine. Celui-ci est « un monde catholique fermé sur lui-même » (I, 40), comprenant la messe obligatoire des dimanches et jours de fête associée par l’auteur à un contrôle social insérant doucement « chaque individu dans la collectivité dont il ne peut pas encore s’extirper en ces temps de mobilité restreinte », le cours de catéchèse, assuré par l’Eglise, les jeudis et « l’impopulaire demi-heure d’instruction chrétienne du dimanche », les deux à l’intention des jeunes, à un moment où « comme au Moyen Age, l’Eglise et la société ne sont pas encore séparées » (I, 41), la confession privée, liée à un certain nombre de lois arbitraires (interdisant par exemple les mariages mixtes), de prescriptions pointilleuses (le jeûne avant la communion) et aux « multiples représentations absurdes du ciel, de l’enfer et du purgatoire » (I, 43) ; le « catholicisme de ghetto », (I, 50). On est alors entre 1942 et 1946. […]