No War
Tagué en globish sur le mur d’une ville quelconque, le slogan n’a pas de sens précis : protestation contre la guerre en général ? contre une intervention militaire particulière ? stupide conformisme du peinturlureur ? Mais la formule est bien choisie pour illustrer la couverture d’un petit écrit collectif italien, au titre interrogatif mais dont on pressent d’avance la réponse : Parler de guerre juste a‑t-il encore un sens ? ((. C. Bresciani, L. Eusebi (dir.), Ha ancora senso parlare di guerra giusta ? Le recenti elaborazioni della teologia morale, EDB, Bologne, 2010, 153 p., 15 €.)) La ligne générale des auteurs est explicitée à la fin, autour du cri de Paul VI à l’ONU, « plus jamais la guerre », et du Projet de paix perpétuelle de Kant. Un autre petit ouvrage, italien lui aussi, dû à un jeune chercheur romain, Andrea Salvatore, offre une classification très fine des pacifismes, de l’utopie et de l’anarchisme à l’utilitarisme ((. A. Salvatore, Il pacifismo, Carocci, Rome, 2010, 112 p., 10 €. V. du même auteur Giustizia in contesto. La filosofia politica di Michael Walzer, Liguori editore, Naples, 2010, 260 p., 23,90 €. Le chapitre IV de ce dernier ouvrage détaille la théorie de la guerre juste du penseur américain.)) . Le « pacifisme déontologique » (c’est-à-dire inspiré de manière proche ou éloignée par des principes religieux) n’en constitue qu’une espèce particulière, minoritaire et souvent liée à des sectes ou groupes politiques (Vaudois, tolstoïens, Eglise confessante allemande…) ; lorsqu’il est radical, il condamne absolument tout recours à la force militaire. A. Salvatore remarque à juste titre que depuis Vatican II, les prises de position officielles sur la question se sont rapprochées de façon asymptotique du pacifisme absolu, sans toutefois franchir le pas.
Les rédacteurs du premier ouvrage mentionné illustrent assez ce paradoxe, qui manifestement les gêne. Ils constatent que subsiste dans des textes comme le Catéchisme de l’Eglise catholique ou le Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise – plus récemment, dans Youcat – une acceptation de la guerre juste – au sens moral et non idéologique – et à ses conditions de licéité ((. Youcat, le catéchisme distribué aux JMJ de 2011 à Madrid, est partagé entre pacifisme (n. 397 : « Jésus valorise beaucoup l’action non violente ») et acceptation de la guerre juste, dans des termes assez paradoxaux. « Les chrétiens doivent-ils être pacifistes ? – L’Eglise lutte pour la paix, mais elle ne prône pas un pacifisme radical. On ne peut dénier aux citoyens ni aux gouvernants le droit fondamental de se défendre légitimement par les armes. Mais la guerre n’est moralement justifiable qu’en dernier recours. L’Eglise dit un non sans équivoque à la guerre » (n. 398) ; « Le recours à la force militaire n’est admissible qu’en cas de légitime défense. Pour qu’une guerre soit “juste”, il faut qu’elle réponde aux critères suivants […] » (n. 399 ; renvoi est fait au Catéchisme de l’Eglise catholique, 2307–2309 ; on remarque les guillemets entourant le mot juste ; on remarque également que le droit des armes est reconnu même aux citoyens, ce qui légitime implicitement le principe des guerres civiles).)) . Leur effort va donc consister à accentuer les restrictions, mais aussi à joindre à un pacifisme foncier une acceptation de l’usage de la force armée dans certains cas, au prix, on peut le deviner, d’un certain nombre de paradoxes. Ainsi procède le P. Luigi Lorenzetti, directeur de la Rivista di Teologia morale (Bologne), avec son très subtil distinguo entre « guerre » et « usage des armes ». La théorie de la guerre juste est, d’après cet auteur, un signe du conditionnement de l’Eglise par le paganisme gréco-romain. Elle a été soutenue, dit-il, quinze siècles durant, jusqu’à Vatican II qui l’a abandonnée en considération des horreurs du dernier conflit mondial et de la montée aux extrêmes en matière d’armements. Il ajoute qu’il y a lieu de se repentir de l’avoir fait si tard. […]