Laurent Fourquet : L’ère du consommateur
« J’avais lu de nombreux ouvrages qui prétendent cerner notre temps, aucun ne m’avait pleinement satisfait. En particulier la notion de société de consommation que depuis les années 60, on retrouve un peu partout, me paraissait trop vague et trop étroitement économique pour rendre compte de la complexité de notre société. Je finis par me demander si ce que l’on nomme consommation de masse n’était pas la simple déclinaison économique d’une mécanique plus globale conférant au principe de consommation le pouvoir de régir en totalité notre mode et nos vie ». Partant de cette interrogation, Laurent Fourquet construit un modèle qui met en lumière les règles qui régissent notre époque et le monde occidental en particulier, tacites mais néanmoins imposées.
Comme Jünger, il construit une figure, non du Travailleur mais du Consommateur qui lui succède aujourd’hui, un être caractérisant notre époque dans une relation d’appropriation-aliénation envers ce qui l’entoure. De la mort, « seule réalité temporelle contre laquelle le Consommateur est désarmé », au souci angoissé de l’environnement, en passant par le mépris réservé aux embryons ou aux vieillards en
fin de vie, hors-jeu, ce système formate des individus « égoïstes et irresponsables », sortes d’antihéros assumés dont tous les comportements sont régis par la logique de consommation, excluant tout ce qui s’y oppose.
Le Consommateur rendant utile tout ce qui l’entoure, la haine du catholicisme devient une « haine objective et pratique motivée par l’opposition irrémédiable entre sa mécanique interne et l’économie du salut qui est propre à la religion catholique ». Il n’est d’ailleurs pas exclu d’en récupérer certains aspects, rendus consommables sous la forme d’un christianisme sans dogmes ni commandements.
Même le capitalisme a dû s’adapter. L’usine, emblématique de l’époque du Travailleur, est remplacée par un lieu ouvert où le Consommateur travaillant pour satisfaire son besoin de consommation doit s’épanouir et être correctement rémunéré. Ce qui conduit d’ailleurs, le rendement du travail diminuant, à développer la rentabilité du capital, une des conséquences étant le développement de la finance de marchés. En se projetant dans l’avenir, Laurent Fourquet parle de « mutation radicale de l’espèce humaine ». « Le Consommateur final sera un individu fini et rassis, incapable de concevoir des Vérités qui ne se consomment pas et donc parfaitement insensible au sacré, à la transcendance, à la différence irréductible de certaines valeurs avec l’usage intéressé que l’on en fait ». La contestation inquiète peu le Consommateur et son système. D’où qu’elle vienne, il la qualifie immédiatement de réactionnaire. Notre auteur n’est pas nostalgique du passé, et il semble sceptique envers toute vision politique (l’islamisme, qu’il prend en exemple, « n’est qu’un négatif de la modernité »). C’est à une résistance morale et spirituelle qu’il appelle, empruntant la voie de l’imitation du Christ, celle du don véritable en totale contradiction avec la logique du Consommateur. La sortie de la complicité est certainement le meilleur des premiers pas.