Nicolas Werth, Alexis Berelovitch : L’État soviétique contre les paysans. Rapports secrets de la police politique
La dékoulakisation a causé six millions de morts de faim, volontairement provoquée par le régime soviétique pour mettre un terme à l’existence d’une classe sociale lui faisant obstacle. Cet ouvrage comporte trois parties correspondant aux phases de cette longue entreprise de « chirurgie ethnosociale » (A. Graziosi) : la période initiale (1918–29), la collectivisation de l’époque stalinienne (1930–34), enfin la Terreur et la famine finale (1935–39). Chacune commence par une substantielle synthèse, suivie d’un grand nombre de rapports, d’ailleurs précis et bien rédigés, tirés des archives de la Tchéka-GPU-NKVD. Les auteurs ne s’intéressent pas tant ici à la mise en oeuvre du crime de masse qu’aux résistances qui l’ont imposé, si l’on peut dire. Le régime ne se trompait pas sur la nécessité, pour réaliser son utopie, de détruire le support social de la société traditionnelle, qu’il a divisé, selon ses manies de classement, destiné à exciter les jalousies mutuelles, en paysans pauvres, moyens-pauvres, aisés (les koulaks), socialement nuisibles, etc. Il ressort de cette compilation que les résistances ont été générales, très actives jusqu’au bout, que la haine de classe a tardé à se mettre en route, et même que les cadres subalternes du nouveau système, pris entre deux feux à cause de leur insuffisante assimilation de la discipline socialiste, ont constitué une menace pour Staline. La solution finale (la Grande Terreur), commencée en 1937, a consisté en une décimation d’apparence volontairement incohérente, frappant au hasard n’importe qui (la culpabilité résultant d’avoir été arrêté, non l’inverse) en vue d’inspirer la crainte à tous. L’holodomor (famine) a fait le reste.