D’un au-delà du communisme. Eléments de théorie
Point n’est besoin de longs discours pour définir brièvement le communisme : il suffit de revenir à Marx dont il est difficile de nier qu’il est un orfèvre en la matière. « Les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette formule unique, l’abolition de la propriété privée ». La définition peut paraître abrupte. Cependant Marx lui-même déclare y voir le principe même de tout communisme possible : il importe donc de comprendre pourquoi. D’autant plus que, si chacun connaît la formule, on s’en tient généralement à son sens le plus superficiel. Or, à bien réfléchir, on s’aperçoit qu’elle confère à l’idéologie communiste un sens que la banalité même de la formule dissimule paradoxalement, mais c’est ce qu’il faut faire apparaître.
On notera donc qu’il s’agit, dans les pages qui suivent, de décrire non les formes historiques de l’idée communiste, mais ce qu’elles ont de commun et qui est l’esprit du communisme. Si beaucoup de communismes sont morts, leur esprit leur a survécu : on va voir qu’il se révèle à l’oeuvre dans les sociétés occidentales contemporaines.
1
Partons donc de la définition marxiste. Certains diront que Marx n’a pas voulu abolir la propriété en général mais seulement la propriété bourgeoise. C’est lui-même qui le dit. Mais le discours qui suit cet avertissement liminaire le dément aussitôt. S’agit-il d’abolir la propriété du petit-bourgeois, du petit paysan ? Inutile, dit-il, le progrès de l’industrie l’a abolie et continue à l’abolir chaque jour. Marx aurait dû être avocat : il peut d’autant mieux se défendre de vouloir l’abolir qu’il n’est plus besoin de le faire. Mais admettons qu’il n’en ait pas voulu la mort : c’est néanmoins à la condition énoncée sans trop en avoir l’air, qu’elle ne laisse aucun bénéfice susceptible de donner un pouvoir sur le travail d’autrui. Toute propriété est illégitime qui engendre pour son propriétaire un surplus disponible inutile à sa survie : le boulanger ne saurait posséder le pain dont ne peut se passer un homme qui meurt de faim, non plus que le pain qu’il peut confectionner non parce qu’il lui est nécessaire mais pour s’enrichir en le vendant. (« Il faut abolir la liberté du commerce, la liberté de vendre et de s’enrichir. ») « Les animaux, » disait Brissot, « sont propriétaires ainsi que l’homme », et devraient servir de modèle, eux qui à la fois ne possèdent que ce qu’ils se sont mis dans l’estomac et aussi bien ne possèdent rien parce que la consommation, qui est d’une certaine manière une appropriation, est d’une autre manière la destruction de ce qui est possédé. Plus rien à voir donc avec la propriété dans son sens classique qui est propriété d’une réserve pour le lendemain. De la définition marxiste il suit encore que tout ce que les uns ne s’approprient pas pour leur consommation immédiate ne leur appartient pas mais est à la disposition virtuelle de tous : quand bien même on supposerait que le communisme, dont Marx veut formuler l’idéal, n’interdirait pas la petite ou la toute petite propriété, dans la mesure où celle-ci équivaut à une appropriation indispensable à la reproduction de la vie, ce prétendu maintien d’une petite propriété privée, essentiellement minimale, constitue en réalité une abolition radicale de la propriété au sens commun du terme, remplacée par le droit de consommer dans la mesure de ses besoins des biens essentiellement collectifs. Ce que dit très clairement Marx : « Le communisme n’enlève à personne le pouvoir de s’approprier des produits sociaux » ; la prise au tas est légitime, pas la propriété privée.
On doit remarquer qu’un tel régime ne peut convenir qu’à des hommes qui vivent au jour le jour, sans famille parce que sans souci d’en entretenir une, et sans autre charge que celle de produire sans cesse, anonymement et personnellement, pour ajouter à la manne commune. Le communisme est la philosophie spontanée de l’homme qui naît enfant trouvé et meurt célibataire, quoique contraint de travailler. […]