Généalogie des génocides
Reynald Secher, dans un dernier ouvrage, revient une nouvelle fois sur la question du génocide vendéen ((. R. Secher, Vendée, du génocide au mémoricide. Mécanique d’un crime légal contre l’humanité, Cerf, octobre 2011, 396 p. + annexes, 24 €.)) . Fort de la mise à jour, dont le mérite lui revient, de très nombreuses correspondances des autorités civiles et militaires qui présidèrent au plan d’extermination massive et l’exécutèrent, il trace les lignes de ce qu’il appelle le génocide « par petits bouts de papier » et le relie à toute l’histoire des crimes de masse qui l’ont suivi. Il démontre pour cela d’innombrables similitudes d’objectifs, de moyens, de techniques, de méthodes, de rhétoriques, avant de s’interroger : « La connaissance des filiations qui relient l’ensemble de ces génocides à celui des vendéens laisse une question pendante : quid de ceux-ci si le génocide vendéen avait été traité avec la même détermination que celui des juifs ? » (p. 270). Une réponse est en fait proposée dès la préface par le pénaliste Gilles-William Goldnadel, président d’Avocats sans frontières : « La Vendée est le premier des génocides contemporains. C’est parce que ce crime n’a jamais été jugé au fond que le système qui l’a engendré n’a jamais été sanctionné, que les hommes qui l’ont conçu et mis en oeuvre n’ont jamais été condamnés, que ce crime contre l’humanité a été repris et appliqué par les systèmes de même nature mortifère comme le communisme et le national-socialisme. Le reste n’est qu’une question de moyens et de temps » (p. 14). Cette série d’absences redoutables a un nom : mémoricide. L’incroyable déni qui a accompagné toute l’histoire de défense républicaine est également le modèle des politiques d’oubli qui ont si souvent recouvert et continuent de recouvrir d’un voile d’hypocrisie odieuse les pires atrocités. Ainsi, le mémoricide, outre la justification du génocide précédent par sa déqualification, rend plus probable le prochain.
Nous reviendrons ici brièvement sur ces faits assez largement connus, que Secher développe et précise, avant de nous attarder sur la défense du système d’extermination, longuement analysé par Stéphane Courtois, qui éreinte l’historiographie officielle à travers une large revue de ses auteurs dans une postface très dense. Nous terminerons par certaines considérations sur diverses questions que soulève la conscientisation du génocide et de sa continuation morale, le mémoricide.
L’auteur relève vingt-quatre procédés de justification du génocide de Vendée et de son mémoricide relevant de quatre grandes familles : la négation, le relativisme, la justification et l’ostracisme (pp. 296 à 298). Il sera effectivement bien difficile de ne pas voir à travers eux de nombreuses constantes intellectuelles et terminologiques propres aux régimes exterminateurs, dont le point commun est l’ancrage dans la modernité comme autonomie dans la production du sens, c’est-à-dire sa production au fil des besoins circonstanciels des maîtres de l’instant. « La liberté ou la mort » (la première est la mienne, la seconde est pour l’autre), la volonté constante des révolutionnaires, proclamée à longueur de correspondance, de ne renoncer à aucun moyen susceptible de leur assurer un triomphe définitif, conduit naturellement à la mise en oeuvre d’une politique de destruction totale, la disparition de l’autre corrélant la disparition de tout autre possible (politique, religieux, social, philosophique, culturel…). Ainsi, « la distinction qui n’offre que deux alternatives – ami ou ennemi, liberté ou mort – a été reprise par tous les systèmes totalitaires qui s’en sont servis pour justifier leurs crimes de masse, comme l’explique Stéphane Courtois dans Communisme et totalitarisme. On ne tue pas des gens pour ce qu’ils ont fait mais pour ce qu’ils sont » (p. 220). […]