Lecture : Cornelio Fabro, philosophe et théologien
Il n’est pas facile d’écrire une biographie qui ne soit pas seulement la synthèse d’un ensemble de sources. Rédiger une biographie, c’est faire revivre, d’une certaine manière, celui qu’elle a pour objet, animer les pages d’un livre des possibilités concrètes qui se sont présentées à cette personne, des décisions qu’elle a prises, des hostilités qu’elle a supportées, de ses réalisations, de l’attitude dont elle a fait preuve. C’est faire émerger des caractères imprimés la densité humaine, laquelle, comme pour toute personne, est ineffable ; comme le met en évidence Kierkegaard, sa singularité en tant qu’être est inaccessible par la voie déductive. En d’autres termes, évoquer une personnalité humaine implique de tracer sa figure intellectuelle et morale, les appréciations qu’elle portait, ses habitudes, la valeur morale de son engagement.
Un tel effort est à plus forte raison difficile lorsqu’il est question d’évoquer la physionomie d’un acteur de la culture philosophique qui a contribué activement à son orientation, qui a eu des positions théoriques particulièrement fortes, qui a été confronté à d’autres acteurs de la vie intellectuelle à un niveau international, qui a pris position – par une argumentation particulièrement claire – dans les affrontements entre les courants de pensée les plus importants de son temps.
En ce sens on peut dire qu’une biographie revêt une dimension philosophique forte, plus encore qu’historiographique, puisque ce qui est en question est la capacité de comprendre l’humanité de l’homme, d’un certain homme, dont l’intériorité, qui est ce qui le qualifie intimement et de manière fondamentale, reste en soi inaccessible. Elle ne l’est que dans la mesure où elle est manifestée par ses actes, ses habitudes et par tout ce qui a ou peut avoir valeur de signe de sa pensée et de sa volonté.
Ceci est la tâche que s’est consciemment fixée Rosa Goglia ((. Rosa Goglia, Cornelio Fabro, profilo biografico cronologico tematico da inediti, note di archivio, testimonianze, Editrice del Verbo Incarnato (EDIVI), Segni, 2010, 303 p.)) , avec le poids de la responsabilité que cela comporte, puisque établir une biographie de Fabro implique la charge de rendre compte d’une grande partie des travaux de philosophie et de théologie qui se sont déroulés sur un siècle. Et Rosa Goglia a accompli cette tâche à partir d’un observatoire privilégié : non seulement parce qu’elle a pu compter sur un ensemble d’archives qu’elle a elle-même recueillies au cours de plusieurs décennies mais aussi parce qu’elle a pu utiliser la mémoire vivante issue de sa connaissance personnelle du philosophe du Frioul, qui a dirigé son doctorat et avec lequel elle a collaboré, Cornelio Fabro, philosophe et théologien spécialement de 1978 à 1995. En outre, elle a à son actif différentes publications philosophiques consacrées au philosophe : Cornelio Fabro, filosofo della libertà (Gênes, 2000), La novità metafisica in Cornelio Fabro (Venise, 2004), Cornelio Fabro filosofo e teologo, tra san Tommaso e Kierkegaard nel postmoderno (Naples, 2007), ainsi que de nombreuses contributions sur la pensée du père Fabro, parues dans les actes de colloques et dans des Mélanges. Ce livre s’inscrit dans la continuité des précédents, prolongement existentiel des considérations essentielles qui y avaient déjà été développées, l’objectif étant toujours de pénétrer la pensée de l’auteur et d’en exposer les éléments les plus importants. Des pages de Rosa Goglia émerge progressivement la figure de Cornelio Fabro, homme, religieux (de la congrégation des Saints Stigmates de Notre-Seigneur), prêtre, chercheur, philosophe, consulteur auprès de différentes Congrégations du Saint-Siège et expert au concile Vatican II. […]