Issu d’une thèse de doctorat en histoire soutenue en 2005 à l’Université de Strasbourg sous le titre Morale sévère/Morale relâchée : la crise de la casuistique classique en France au XVIIe siècle, cet ouvrage imposant et richement documenté (nombreuses annexes fort intéressantes, index, bibliographie complète) se veut une exploration du débat théologique en France du second XVIIe siècle, achevé par les condamnations du laxisme par l’Assemblée du Clergé en 1700. Dans son introduction, l’auteur (maître de conférences en histoire moderne) expose sa démarche, s’inscrivant notamment dans le sillage de J.-L. Quantin et de son oeuvre d’intégration de l’histoire de la théologie morale dans l’historiographie française. Sur ce sujet, il relativise à juste titre l’oeuvre de Jean Delumeau, marquée par son temps et par « l’engagement militant de l’intellectuel catholique », oeuvre qu’il replace au sein d’une histoire intellectuelle du catholicisme des années 1970–1980, marqué par « l’influence de la reconstruction lubacienne de l’histoire de la théologie ».
Son but est d’essayer de comprendre la crise que subit la casuistique française au XVIIe siècle, mais en tentant « de se dégager de la question trop partisane du laxisme et du rigorisme ». De ce fait, l’auteur se sépare aussi des tendances récentes d’histoire de la morale, représentées par Vereecke, Moore, Pinckaers, Aubert, Mahoney ou Gallagher, ces derniers ayant créé une « rupture avec la théologie morale des manuels issue de la casuistique, perçue comme l’expression d’un dysfonctionnement, sinon d’une dérive de la théologie morale catholique ». Décrivant une dynamique de raffinement, avec l’enseignement de la casuistique jésuite entre 1550 et 1650, l’auteur retrace les réactions à ce mouvement qui débouchent, d’abord en France puis dans l’Europe entière, sur un antijésuitisme. De plus, la question du jansénisme ou de l’antijansénisme, qui occupe trop l’historiographie française, ne constitue qu’un aspect de cette polémique. Une polémique extrêmement violente, dont l’objet est parfois flou : soit strictement théologique, soit antijésuite, avec comme exemple topique les Provinciales, écrites non contre les positions laxistes, mais pour défendre Antoine Arnaud. Ce n’est qu’au milieu de l’ouvrage qu’il y a un basculement contre l’image du jésuite corrupteur de la morale. Les mots de laxisme et de rigorisme, aujourd’hui intégrés à notre vocabulaire, naissent de la polémique autour de la théologie morale, celui-là ayant été inventé pour désigner de manière insultante tout penseur se trouvant du côté du relâchement, c’est-à-dire dans le camp des jésuites (même s’il englobe aussi des capucins ou des prêtres séculiers). Le premier auteur condamné est Etienne Bauny, indulgent, mais aussi mis en cause car il écrit en français des livres destinés à un large public, et non réservés au monde des théologiens. L’ouvrage met ainsi en exergue cette nouveauté du débat public, de la question de l’opinion publique au sein des querelles théologiques. Une publicité qui influence la vie de l’Eglise pour la première fois, et qui s’ouvre au laïcat. En définitive, l’auteur discerne un « inachèvement du rigorisme » révélateur d’une crise au sein de la tradition classique qui ne se soumet pas, tout en abandonnant certains pans de la tradition indulgente.