Lecture : L’édifice et le culte. La leçon du roman normand
Avec Les églises romanes de Normandie, de Valérie Chaix ((. Picard, novembre 2011, 359 p., 70 €.)) , c’est à nouveau un bien beau livre sur l’architecture liturgique médiévale que nous proposent les éditions Picard, peu de temps après le collectif, plus centré sur les origines, qu’avait dirigé Paolo Piva ((. Paolo Piva (dir.), Art médiéval, Les voies de l’espace liturgique, Picard, 2010, 287 p.)) . S’il montre de belles photos et des plans nombreux, ce n’est pas un guide de tourisme culturel. C’est un ouvrage de fond sur l’architecture liturgique de cette époque, à partir du caractère particulièrement représentatif de la Normandie. Les monuments décrits sont choisis dans les limites historiques du duché de Normandie au XIe siècle, province qui, l’auteur le souligne, est à l’origine de l’application de l’adjectif roman à l’architecture : « C’est l’archéologue normand, C. de Gerville (1769–1853), qui propose en 1818 de reprendre le terme de roman pour caractériser le style régnant aux XIe et XIIe siècles, terme jusque-là utilisé pour désigner l’état intermédiaire de notre langue entre le bas-latin et le français déjà bien caractérisé du XIIIe siècle. » (pp. 9–10). Cet épanouissement architectural de la Normandie romane, un peu plus d’un siècle après la sédentarisation et la christianisation des Vikings, allait faire ensuite des adeptes, dans un mouvement porté par la geste du Conquérant.
Pourtant, les édifices choisis comme exemples par Valérie Chaix sont relativement peu nombreux (dix-huit), bien que toujours majeurs. Pour certains (notamment les cathédrales de Coutances et de Rouen), l’auteur se réfère surtout à un état antérieur aux restructurations gothiques, quasiment seules visibles de nos jours. Pour quinze d’entre eux, dont la partie demeurée romane de l’abbaye du Mont-Saint-Michel, une récapitulation, monument par monument, occupe la dernière partie du livre. Mais c’est la synthèse qui est ici essentielle ; elle culmine dans la conclusion d’un ouvrage qui est tout sauf descriptif, cherchant partout à faire comprendre une étape essentielle de l’architecture liturgique.
La perspective est en effet ici celle de l’approche fonctionnelle des édifices. Ceux-ci ne trouvent leur signification réelle que par les cérémonies pour lesquelles ils ont été construits ; c’est bien le geste liturgique qui consacre l’espace dans lequel il prend place, ainsi que le montre le P. Bouyer dans Le rite et l’homme, récemment réédité ((. Cerf, 2009, 206 p.)) . Plus précisément, Valérie Chaix se réfère aux travaux de Carol Heitz, fondateurs en ce sens, largement cités tout au long de l’ouvrage, dont les Rapports entre l’architecture et la liturgie à l’époque carolingienne ((. Ecole Pratique des Hautes Etudes-Paillart, 1963, 280 p.)) sont sans doute la récapitulation la plus claire, pour une période qui porte en gestation toute l’architecture médiévale, romane puis gothique, mais qui a été aussi essentielle pour comprendre l’expansion et l’adaptation de la liturgie romaine en Europe de l’Ouest au Haut Moyen Age. Si elle défend les rectifications locales qu’imposent selon elle les exemples normands, Valérie Chaix reprend la démarche de Carol Heitz, qui accorde à chaque sous-partie de l’édifice une attention propre. Cette partition donne également l’architecture du livre, puisqu’elle en ordonne les chapitres, d’ouest en est, selon l’orientation des églises, qui n’a pratiquement souffert aucune exception chez nous, au moins jusqu’à la fin du XVIe siècle.
On va ainsi des « extrémités occidentales » aux « extrémités orientales » en passant par « les nefs », avec à chaque fois une analyse poussée, reposant sur une vision très sûre des exemples normands étudiés mais intégrant aussi des comparaisons avec ce qui a suivi (notamment en Angleterre) et avec ce qui a précédé, également en Italie et dans les églises carolingiennes. […]