Michel Labourdette : Cours de théologie morale, Tome 2. Morale spéciale
Le tome 1 (Morale fondamentale) était paru en 2010. Expert au moment du concile, le P. Labourdette (1908–1990), alors directeur de la Revue thomiste et proche des positions de Charles Journet et de Jacques Maritain, est rapidement passé dans le camp novateur, sans pour autant aller aussi loin qu’Yves Congar ou d’autres dominicains « de choc », loin de là (Cf. sur cet aspect la préface du cardinal Schönborn à l’ouvrage collectif Thomistes ou de l’actualité de saint Thomas d’Aquin, Parole et Silence, 2003). Ce nouveau volume en témoigne, par son aspect globalement conservateur, et seulement de temps à autre favorable aux nouveautés de l’époque conciliaire. En positif, on remarque d’emblée la présentation de ces cours, qui n’est pas celle d’un manuel néo-scolastique, mais d’une expression presque familière, peut-être transcription d’une explication orale linéaire de la Somme théologique, entrecoupée de remarques de bon sens, d’allusions à des auteurs philosophiques, d’exemples tirés de la vie courante. Le revers de la médaille, ou de la méthode, c’est qu’elle n’est pas constamment rigoureuse (par exemple au sujet des exigences de vérité, ou encore de l’illicéité de la « pilule » ; un certain flottement sur le suicide : cas de Ian Palach, p. 520 ; un autre sur le volontaire indirect et l’avortement thérapeutique, p. 536 ; des propos mi-figue, mi-raisin sur le freudisme…) Comparé à la Théologie morale fondamentale de Jean-Pascal Perrenx (6 vol., Téqui, 2008), on est surpris par l’aspect survolé de certaines sections et l’absence quasi totale de bibliographie critique.
La partie « politique » retient nécessairement l’attention dans le contexte présent. Le propos est la plupart du temps classique et en retrait sur le personnalisme (pp. 399–400 : la cité ne peut se réduire au rang de moyen pour la personne, affirme le moraliste). Mais la dépendance envers Maritain apparaît ensuite quand il s’agit de la laïcité. Ce terme voulant « souligner cette vérité que la société politique, étant chose de ce monde et pour la vie présente, doit nouer son unité à un niveau naturel et humain, sur des valeurs accessibles à tous ses membres. « […] – L’Eglise peut non seulement condamner la pratique [de l’avortement] mais affirmer que cette condamnation fait partie de l’enseignement chrétien ; – L’Etat ne peut pas demander de penser que l’avortement est inadmissible, mais il a le devoir de l’interdire comme tout meurtre » (p. 177). Propos contradictoire, dans la mesure où l’interdiction, si elle se veut une loi et non un acte positif arbitraire, doit revendiquer la conformité à la raison, et celle-ci tient que l’avortement est inadmissible ! Quant à la liberté religieuse dont le principe a été posé par Vatican II (Dignitatis humanae), il s’agit clairement pour Labourdette du « droit inaliénable […] de professer librement la religion de son choix et de la pratiquer », et, dit-il, « il est inutile, à mon avis, de s’ingénier à prouver que “l’Eglise aurait toujours enseigné cela”. Non, et il est sûr que ce n’est pas facile à concilier avec une foule de ses déclarations antérieures »… (p. 178).
Au total, on ne peut s’empêcher de regretter qu’une masse aussi considérable de travail soit parsemée d’insuffisances et de concessions.