Revue de réflexion politique et religieuse.

Le non-art fait main basse sur les églises

Article publié le 28 Sep 2012 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Dans son der­nier livre, Sacré Art contem­po­rain, Aude de Ker­ros traite d’un épi­sode de la guerre contre l’art, contre notre civi­li­sa­tion et donc fina­le­ment contre nous-mêmes ((. Aude de Ker­ros, Sacré art contem­po­rain. Evêques, Ins­pec­teurs et Com­mis­saires, Jean-Cyrille Gode­froy, mai 2012, 18,50 €.)) . Elle montre com­ment le non-art et la logo­ma­chie pseu­do-théo­rique qui l’accompagne ont squat­té les églises et détour­né leur fonc­tion reli­gieuse. On pui­se­ra dans ce livre une masse d’informations peu connues et néan­moins indis­pen­sables pour com­prendre notre époque et des ana­lyses pré­cises de cette l’histoire. Je lui repro­che­rai, cepen­dant, de prendre trop au sérieux le dis­cours apo­lo­gé­tique sus­men­tion­né tout en ne le réfu­tant pas assez. Elle cite par exemple Arthur Dan­to ten­tant de légi­ti­mer les boîtes Brillo de Warhol en décré­tant : « Est de l’art ce que le milieu de l’art consi­dère comme tel ». Or cette défi­ni­tion est cir­cu­laire : elle pré­sup­pose ce qui est à prou­ver, à savoir que les boîtes Brillo sont de l’art, sans quoi la gale­rie qui les expose et les cri­tiques qui les portent aux nues appar­tiennent au monde du non-art. Dans ce milieu, tout peut-être de l’art parce que le juge­ment en la matière est consi­dé­ré comme pure­ment arbi­traire. « C’est le regar­deur qui fait le tableau », disent-ils, en citant Duchamp. Ils ajoutent qu’« est beau ce que celui qui regarde trouve beau ». Or l’expérience esthé­tique ne peut être réduite à sa dimen­sion psy­cho­lo­gique car elle a une cause objec­tive : l’oeuvre d’art qui nous la pro­cure. Le psy­cho­lo­gisme n’est pas plus fon­dé en esthé­tique qu’il ne l’est en mathé­ma­tique.
Le rai­son­ne­ment et l’intuition dans ce der­nier domaine sont aus­si des pro­ces­sus qui se déroulent dans la conscience mais cela n’autorise pas le rela­ti­visme sub­jec­ti­viste comme l’a mon­tré Hus­serl. C’est pour­quoi il y a une dif­fé­rence entre ce qui est de l’art et ce qui ne l’est pas et aus­si une dif­fé­rence (d’un autre ordre) entre ce qui est beau, c’est-à-dire source d’émotion esthé­tique, et ce qui, ne l’étant pas, nous laisse indif­fé­rent. Selon l’expert new-yor­kais, Gil­bert Browns­tone, cité par Aude de Ker­ros, « dans un uni­vers en proie aux contra­dic­tions, une esthé­tique prô­nant la
beau­té et l’harmonie serait hypo­crite » (pp. 23 et 85). Par les temps qui courent, il règne dans les esprits une telle confu­sion qu’Aude de Ker­ros n’aurait pas dû, là encore, comp­ter sur le lec­teur pour ripos­ter au sophiste amé­ri­cain en lui posant la ques­tion iro­nique : « Se pour­rait-il que le monde de la Renais­sance ou de l’Antiquité n’ait pas été en proie aux conflits et aux contra­dic­tions ? »
La brillante essayiste que je cri­tique s’obstine à se ser­vir de l’acronyme AC dans lequel il est impos­sible de lire autre chose qu’art contem­po­rain et qu’il fau­drait ban­nir pour cette rai­son. Celui qui, en entier ou sous forme abré­gée, emploie ce syn­tagme inven­té par nos adver­saires leur a, d’avance, tout concé­dé. La preuve en est qu’ils usent eux-mêmes de ce sigle loin d’en être gênés.
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