L’option catholique libérale
La commémoration du bicentenaire de la naissance de Charles de Montalembert (1810–1870) avait donné lieu à un certain nombre de manifestations dont les publications parviennent maintenant au lecteur ((. On peut retenir par exemple J.-N. Dumont (dir.), Montalembert et ses contemporains, Cerf, coll. La nuit surveillée, 2012 ; A. de Meaux, E. de Montalembert, Charles de Montalembert. L’Eglise, la politique, la liberté (Actes du colloque du 6 novembre 2010), CNRS éditions, 2012 et plus particulièrement la communication de L. Jaume, « La place du catholicisme libéral dans la culture politique française », pp. 59–78 ; enfin la réédition de Charles de Montalembert, L’Eglise libre dans l’Etat libre, précédé de Des intérêts catholiques au XIXe siècle, Cerf, coll. La nuit surveillée, 2010.)) . Elle donne également une excellente occasion de revenir sur l’étude des motivations subjectives du libéralisme et plus particulièrement sur le processus historique qui a vu s’épanouir le catholicisme libéral jusqu’aux hautes sphères de la hiérarchie ecclésiastique.
Car, en effet, il est passionnant de détecter une psychologie du libéralisme ((. Voire une psychanalyse (par antithèse) : cf. Lucien Jaume, « Le catholicisme libéral : un mouvement novateur, une doctrine hésitante », in C. Stoffaes (dir.), Psychanalyse de l’antilibéralisme, éd. Saint-Simon et Institut d’Histoire de l’industrie, 2006, pp. 104–111.)) , un état d’esprit qui s’est répandu chez les catholiques jusqu’à correspondre au modèle dominant de la compréhension du monde, traduit, un siècle après la publication de L’Eglise libre dans l’Etat libre, par la déclaration sur la liberté religieuse du concile Vatican II. Ce travail suit d’ailleurs dans une inversion chronologique ce que nous avions pu développer dans ces colonnes à propos de l’ouvrage posthume d’Emile Perreau-Saussine ((. Cf. notre article « Eglise catholique et démocratie libérale », Catholica n. 112, été 2011, pp. 34–42, à propos de l’ouvrage d’Emile Perreau-Saussine, Catholicisme et démocratie, Cerf, coll. La nuit surveillée, 2012.)) .
Charles de Montalembert est emblématique de cette racine philosophique de l’erreur concernant le bien commun parce qu’il fut justement plutôt conservateur, et, tout comme Lacordaire, qu’il ne voulut pas suivre Lamennais après sa condamnation par Rome. Catholique libéral, il joua un rôle important à la Restauration par ses interventions à la Chambre aussi bien que par ses articles du journal L’Avenir, dont la devise était « Dieu et la liberté ». C’est justement parce qu’il s’agit d’un conservateur que la pensée d’un Montalembert est représentative d’un nouveau cours confirmé tout au long du débat sur la relation entre catholicisme et liberté moderne. Il n’est pas un théoricien mais un homme politique, Pair de France puis député du Doubs, présent dans les débats sur la place de la religion dans la vie publique sous quatre régimes successifs, de la Restauration au Second Empire. Son mot d’ordre électoral fut toujours le slogan et le principe « Catholique d’abord ! », ce qui devrait conduire à considérer à leur juste place les tentatives contemporaines du catholicisme libéral. Sa pensée va même jusqu’à traduire « un raidissement conservateur en matière sociale et même politique, comme en témoigne le soutien qu’il accorda à Louis-Napoléon Bonaparte jusque dans le milieu des années 1850 et sa méfiance pour les notions de démocratie et de démocratie-chrétienne » ((. Antoine Leca, Histoire des idées politiques, coll. Universités Droit, Ellipses, 1997, p. 339.)) .
C’est ainsi en effet qu’en octobre 1848, il s’opposa à la synthèse démochrétienne de L’Ere nouvelle ((. Journal fondé en avril 1848 par l’abbé Maret et Frédéric Ozanam qui « servit d’organe officieux à la première démocratie-chrétienne ».)) en ces termes : « Je ne puis me défendre de sourire quand j’entends déclarer que le Christianisme c’est la démocratie, j’ai passé ma jeunesse à entendre dire que le Christianisme était la monarchie […] J’ai lutté vingt ans, et non sans quelque succès, contre cette vieille erreur aujourd’hui dissipée, je lutterais vingt ans encore, si Dieu me les donnait, contre cette nouvelle prétention ; car je suis convaincu que ce sont deux aberrations du même ordre » ((. Cité dans Hans Maier, L’Eglise et la démocratie, Critérion, Limoges, 1992, p. 348, n. 87.)) . Il est vrai que dans les colonnes de ce journal ainsi critiqué, l’abbé Maret affirmait que la démocratie était « fille du christianisme et de la raison », et qu’autour de lui s’était créé un courant assurant le ralliement d’un certain nombre de catholiques libéraux à la démocratie, même si Lacordaire, conciliant un « libéralisme prudent à une pensée sociale hardie […] se méfiait des potentialités despotiques de la démocratie et joua un rôle modérateur parmi les collaborateurs de L’Ere nouvelle » ((. A. Leca, op. cit.)) . […]