Lectures : L’Eglise de France et la question juive
Voici quinze ans, la question juive était d’une actualité brûlante et l’épiscopat se préparait à se repentir à ce sujet. Une tempête médiatique ((. Jean-Louis Clément, « La repentance de Drancy face aux médias » in Michel Mathien (dir.), La médiatisation de l’Histoire. Ses risques et ses espoirs, Bruylant, Bruxelles, 2005, pp. 147–154.)) avait entouré la cérémonie de Drancy de septembre 1997 alors qu’il était patent qu’elle ne visait qu’à légitimer les choix politiques de catholiques engagés dans la Résistance puis dans un certain aggiornamento de l’Eglise de France avant, pendant et après le Concile. Faut-il donc voir en Sylvie Bernay un chercheur plein de courage pour remettre sur le métier une enquête historique chargée de passions ? La galanterie oblige tout gentilhomme.
La qualité des archives qu’elle a utilisées est remarquable. En 2003, elle a obtenu le soutien du cardinal Jean-Marie Lustiger (1926–2008) pour mener à bien sa recherche ((. Entretien accordé par Sylvie Bernay à l’agence de presse électronique Zénit, 18 janvier 2012.)) . En conséquence, le fonds Mgr Henri Chappoulie, représentant permanent de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France auprès de l’Etat français (1940–1944) lui fut rendu ouvert ((. Quand j’avais introduit ma demande de consultation de ce fonds en 1997, il m’avait été répondu que les dossiers ne contenaient que des demandes de bons d’essence. Ce point est vrai, mais les archives publiques laissaient déjà penser qu’ils contenaient matière à éclairer bien d’autres sujets et Sylvie Bernay a su en extraire des renseignements très utiles. La politique d’ouverture des archives par l’épiscopat obéit à une logique florentine qui déroute l’historien soucieux de la vérité des faits jusqu’au scrupule.)) . Les archives de Mgr Emile Guerry, archevêque coadjuteur de Cambrai et secrétaire-adjoint de la commission permanente de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques, étaient soi-disant détruites par une inondation à la maison mère des Petites Soeurs des Maternités catholiques de Bourgoin-Jallieu. Il semblerait qu’un miracle mosaïque les ait sauvées des eaux puisqu’elles sont consultables aujourd’hui au Centre national des Archives de l’Eglise de France. Le travail érudit de Sylvie Bernay ((. Sylvie Bernay, L’Eglise de France face à la persécution des Juifs, CNRS Editions, 2012.)) fait donc date pour porter à la connaissance du public des faits jusqu’à présents mal restitués faute d’archives. Il fera date aussi pour apporter une certaine inflexion à l’historiographe de l’histoire religieuse de la France avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Cela est lié aux anamorphoses de la réalité qu’introduit Sylvie Bernay par ses choix et sa méthode de travail.
Cet article vise donc à apporter les correctifs nécessaires aux conclusions établies par Sylvie Bernay pour restituer, au plus près des documents, un passé révolu qui fut tissé d’événements parfois concomitants parfois successifs mais qui se sont déroulés si vite que les gens de ce temps-là peinaient à lire les « signes des temps », préférant se concentrer prioritairement sur l’approvisionnement – da nobis panem quotidianum. Après avoir rétabli des distinctions nécessaires et supprimé des séparations incongrues, un certain nombre de faits seront replacés dans un contexte historique et juridique plus ample. Cela fait, il sera tenté de savoir à quelle fin répond ce travail. […]