Pierre Gourinard : Les Royalistes en Algérie de 1830 à 1962. De la colonisation au drame
Thèse de doctorat d’histoire, d’un auteur extrêmement précis, cet ouvrage est d’une ampleur beaucoup plus large que son titre ne le laisse supposer. Certes, le fil continu est constitué par l’étude des différents courants royalistes, légitimistes ou orléanistes, étroitement liés dès l’origine à l’installation de la France en Algérie – n’oublions pas, entre autres, que le débarquement de Sidi Ferruch commence le 14 juin 1830, sous le règne de Charles X, qui cédera sa place devant l’émeute à Louis-Philippe, après les Trois Glorieuses, du 27 au 29 juillet, changement de régime lourd de conséquences en Algérie. Véritable mine de renseignements sur l’implantation des Français, puis d’autres arrivants venus des pays méditerranéens environnants, Pierre Gourinard livre une histoire générale de la colonisation de l’ancienne base arrière des pirates barbaresques et de son peuplement, des difficultés d’implantation de l’Eglise, enfin d’un milieu politique restreint mais actif intellectuellement ainsi que dans la vie publique. Pour la part la plus récente, l’auteur parle aussi en témoin, puisqu’il a fait partie du petit cercle des royalistes algérois, en compagnie de ses amis Jean Brune et Pierre Dimech, ce dernier préfaçant son livre en termes chaleureux.
Du point de vue du royalisme, une nette césure apparaît entre le XIXe et le XXe siècle, le terme prenant sa consistance plus idéologique que politique à partir de 1900, du moins en Métropole. Sur place, l’écho de l’Action française est tardif. L’historien le situe après la fin de la Grande Guerre, dans les années 1920. Les autres ligues étaient déjà installées, sur un terreau ancien, correspondant à la stabilisation de la population européenne, et à la symbiose avec la vie politique métropolitaine, qui ne cessa que lors de la cassure finale, à partir de 1958–59, sans être jamais totale. L’ouvrage replace tellement les activités particulières des royalistes – désormais ligueurs ou camelots du Roi – dans le creuset général de l’histoire locale qu’il constitue en fait une véritable analyse politique, prolongée dans le temps, de la manière dont les gouvernements français ont dirigé, ou se sont abstenus de diriger l’organisation des départements d’Algérie, et notamment le statut juridique des autochtones d’origine arabo-berbère. A cet égard, et c’est ici une continuité très nette que met en relief Pierre Gourinard, un souci fut constant, des origines à 1962, dans les milieux qu’il étudie : celui de s’ouvrir aux populations locales, à leurs élites, et de mettre à leur disposition les moyens d’accéder à la civilisation chrétienne, avec une nuance beaucoup plus religieuse dans les débuts. En cohérence avec des positions qui se rapprochaient du catholicisme social, les royalistes des années 1930 ont proposé la solution corporatiste, à l’opposé du choix offert par les institutions officielles, prêtes à accorder la pleine citoyenneté aux Indigènes sous réserve qu’ils renoncent à leur statut personnel, en d’autres termes, qu’ils apostasient en partie l’islam. Ils ont longtemps bénéficié du soutien de personnalités musulmanes (l’auteur indique qu’avant 1940 Ferhat Abbas lisait Maurras et Maritain). C’est cependant au XIXe siècle, presque immédiatement, que la question de la mission s’est trouvée posée, se heurtant à la mauvaise volonté, voire à la franche hostilité d’une administration dominée par la franc-maçonnerie, compensée selon les cas par des personnalités plus ouvertes. Les chapitres sur les rapports entre colonisation et évangélisation fournissent sur ce point de précieux matériaux.
Pour conclure, on pourra retenir l’originalité de cette histoire de l’Algérie française, très détaillée et si différente des approches les plus courantes.