Québec : l’achèvement d’un cycle ?
Les accommodements raisonnables incarnent-ils l’achèvement du modèle prôné par le libéralisme catholique ? L’homme, le citoyen qu’ils promeuvent n’est-il pas finalement l’archétype du modèle catholique promu depuis tant d’années par le progressisme démocrate-chrétien au sein même de l’Eglise ? Notion d’abord juridique provenant du Québec, les accommodements raisonnables ont connu une évolution relativement récente au sein de la Belle Province en raison de la confrontation à laquelle ils ont donné lieu entre le groupe (encore) majoritaire d’ascendance canadienne-française et les revendications des groupes minoritaires d’essence principalement religieuse, véritables « chocs entre la culture d’accueil et certaines cultures immigrantes » ((. Commune d’Hérouxville (Mauricie), Normes de vie (rédacteur André Drouin), 25 janvier 2007.)).
A l’origine des accommodements raisonnables, on trouve les chartes québécoise et canadienne garantissant aux citoyens une protection contre une exclusion et une discrimination basées sur « l’origine nationale ou ethnique, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle, etc. » ; en réalité, et malgré de nombreuses dénégations politiquement correctes, le débat est quasi uniquement centré sur le pluralisme religieux et les nombreuses demandes assez vindicatives des communautés musulmanes à bénéficier des exemptions à la règle commune. L’accommodement raisonnable est une conséquence du droit à l’égalité et il peut être ainsi décrit selon l’association Educaloi : « Il arrive qu’une règle apparemment neutre crée indirectement des effets discriminatoires […]. Lorsqu’une caractéristique propre à une personne l’empêche d’avoir accès aux mêmes avantages que la majorité, le principe de l’accommodement raisonnable veut que l’on corrige le tir en accommodant la personne, afin de lui permettre de ne pas être exclue. L’accommodement raisonnable crée donc une norme différente pour une personne sans pour autant pénaliser le reste du groupe ». Pour la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles ((. Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, rapport final intégral, 22 mai 2008.)) , « la conception classique de l’égalité, fondée sur le principe du traitement uniforme, a fait place à une autre conception plus attentive aux différences. Peu à peu, le droit a été amené à reconnaître que la règle de l’égalité commande parfois des traitements différenciés. C’est cette conception que reflète la disposition juridique qu’on appelle l’accommodement raisonnable ».
L’histoire sociale du Québec est tout à fait intéressante en ce qu’elle semble incarner, en accéléré, l’évolution générale du libéralisme et du progressisme catholiques. Nous assistons maintenant à ce qui apparaît comme un terme logique et terrible de ce « débat permanent » instauré par les idéologies évolutionniste et progressiste partagées dans une bonne partie de l’Eglise.
Authentique « espace de chrétienté », le Québec aura connu une mutation sociologique forte de l’entre-deux-guerres aux années soixante lesquelles sanctionneront ce processus par la « Révolution tranquille » ((. Cf. l’ouvrage très instructif de Michael Gauvreau, Les Origines catholiques de la Révolution tranquille, Fides, Montréal, 2008 et notre recension : « Nouveau regard sur la Révolution tranquille québécoise », Catholica, n. 102, Hiver 2008–2009, pp. 92 ss.)) . Celle-ci avait bien pour origine, et ce, dès l’entre-deux-guerres, de multiples initiatives au coeur même de l’Eglise du Canada français. De nombreux groupes, essentiellement des mouvements de jeunesse catholique comme l’Action catholique elle-même, vont agir dans le cours de la transformation de la société en créant de nouvelles brèches, en pesant de tout leur poids sur la nature révolutionnaire du processus de diversification idéologique. Nous notions précédemment que pour un certain clergé progressiste, la révolution des cadres conceptuels traditionnels par la Révolution tranquille était une expression de la force de l’influence et de l’assise de l’Eglise dans la société, alors même qu’elles étaient tout près de brutalement s’effondrer. Il en résultera une déchristianisation radicale, une rapide déconfessionnalisation au profit d’un nationalisme laïque, dont le « fondement et l’unité ne relevaient plus d’une croyance religieuse commune, mais de l’économie, de la langue et du pouvoir de l’Etat » ((. Richard Bastien, « Notes de lecture », Egards [Montréal], n. 21, automne 2008, pp. 84–91.)) , lequel marginalisa en très peu d’années le rôle social et culturel du catholicisme au sein de la société. Le contexte de l’imposition de la relativement récente laïcité québécoise n’était donc pas comparable à celui de la laïcité française et gardait sa particularité d’être en apparence moins radicale, et issue de l’évolution de l’Eglise elle-même en débat permanent dans sa recherche optimiste, utopique, d’une adaptation au « monde moderne ». Or, il s’agit bien de cela avec les accommodements raisonnables : ce que Lumières et Révolution avaient arraché de la société française en plus de deux siècles de combat frontal contre l’Eglise, le volontarisme du pluralisme et du dialogue inter-religieux au sein de l’Eglise l’a acquis au Québec en moins de cinquante années de relativisme culturel et dialectique. […]