Alexis-Gilles Troude : Balkans, un éclatement programmé. Ex-Yougoslavie, 20 ans après
Cet ouvrage rédigé par deux frères spécialistes des Balkans est à la fois historique et prospectif. D’une part, ils reviennent sur les différentes étapes de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. Leur travail bien documenté, est une bonne synthèse, qui permet d’y voir clair sur la politique menée depuis vingt ans dans les Balkans par les Etats-Unis, suivis par un certain nombre de pays européens. Ce tableau d’ensemble est intéressant à titre de comparaison car les Balkans ne sont que l’un des terrains d’application d’une stratégie mise en oeuvre dans d’autres parties du monde. Le chapitre sur le Kosovo, « un Etat-voyou sous l’aile américaine », en est une bonne illustration : élimination d’un pouvoir garantissant un certain ordre sous des prétextes « droits-de‑l’hommistes » en soutenant une opposition aux méthodes et aux intentions plus que douteuses, mise en place d’un pouvoir mafieux et facilement corruptible, installation physique dans un pays (base de Bonsteel) présentant des atouts stratégiques et économiques majeurs… Sur ce plan, la démonstration des deux auteurs, qui s’inscrit en opposition avec une opinion largement dominante, gagnerait parfois à aller plus loin dans l’investigation et dans la précision au sujet des sources utilisées ; on peut citer à titre d’exemple la question du trafic d’organes qu’est fortement soupçonnée d’avoir commis la mafia kosovare en 1999, à laquelle auraient été liés des membres du gouvernement actuel du Kosovo, ou bien le développement commercial dans le même territoire, suite à l’intervention de l’OTAN, de Brown and Root, filiale d’Halliburton, dont Dick Cheney était le directeur avant d’être élu vice-président des Etats-Unis.
A. et G. Troude se livrent également à une réflexion sur le devenir des Balkans, le bilan de ces vingt ans d’“éclatement programmé” étant très négatif : corruption structurelle, impliquant le pouvoir à très haut niveau, chômage atteignant des records (47% de la population active au Kosovo), « protectorat » de l’Union européenne sur la Bosnie-Herzégovine, durcissement du communautarisme ethnique, linguistique ou religieux, création d’une base arrière de l’islamisme… « Dans un avenir proche, il est fort probable que ces Etats fragiles, mis en place par l’hyper-puissance américaine et ses alliés, soient voués à l’éclatement » (p. 193). Le processus de dislocation chaotique est donc probablement appelé à se poursuivre, dans la mesure où aucun obstacle majeur ne vient l’arrêter. Cela a bien sûr de l’importance pour les populations de ces pays, durablement divisées et meurtries par le machiavélisme des grandes puissances, Etats-Unis en tête, et l’incurie des apprentis sorciers européens. Cela en a aussi pour celles des pays d’Europe de l’Ouest, car ce « fractionnement n’est pas seulement l’apanage des Balkans » : si des phénomènes identiques à ceux des Balkans n’y sont pas prévisibles, du moins à court terme, les germes d’une certaine contamination y sont observables et ne peuvent qu’inciter à la vigilance.