Revue de réflexion politique et religieuse.

Mat­thieu Rouillé d’Orfeuil : His­toire litur­gique du XXe siècle. Enjeux et docu­ments

Article publié le 14 Fév 2013 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Avec Dom Gué­ran­ger et le mou­ve­ment litur­gique a com­men­cé, selon le père Mat­thieu Rouillé d’Orfeuil, pro­fes­seur de théo­lo­gie sacra­men­taire au sémi­naire de Tou­lon, une étape inédite de la connais­sance du culte chré­tien : face aux cri­tiques du ratio­na­lisme et de ce que l’on appel­le­ra les sciences humaines, l’Eglise s’est, pour la pre­mière fois, inter­ro­gée sur la nature même de la litur­gie. Cette réflexion, tou­jours selon l’auteur, a remis en valeur la dimen­sion com­mu­nau­taire et même par­ti­ci­pa­tive de la litur­gie, ce qui a conduit à une réforme, par­tielle d’abord (Semaine Sainte, sous Pie XII), puis glo­bale (ce que l’on connaît aujourd’hui) des rites. A pro­pos de cette thèse, on sou­li­gne­ra tout d’abord la pré­sen­ta­tion qu’elle fait de la réforme litur­gique, ce qui la rend – la réforme – pro­blé­ma­tique : « L’histoire [a] imprim[é] à la réforme litur­gique une autre tona­li­té » (p. 50) que celle envi­sa­gée par la lettre de la consti­tu­tion conci­liaire Sacro­sanc­tum Conci­lium, au nom de « l’intuition pro­fonde de Vati­can II » (p. 67). La rai­son se trouve dans les pres­sions des épis­co­pats, mais sur­tout dans le tra­vail du Consi­lium char­gé de l’exécution, carac­té­ri­sé par la science et l’oecuménisme des litur­gistes, comme par des expé­ri­men­ta­tions à la fois pru­dentes (par leur cadre) et auda­cieuses (par leur dépas­se­ment des textes), dont un « symp­tôme très clair », au dire de l’auteur, a été « [d’]ériger en norme de fait ce qui avait été pré­vu pour être une excep­tion en droit » (p. 52, ce qui vise ici l’usage des langues ver­na­cu­laires). Mais alors, se demande-t-on, ne passe-t-on pas par pertes et pro­fits la notion de déve­lop­pe­ment homo­gène de la litur­gie ?
Le second point pro­blé­ma­tique touche, lui, le rai­son­ne­ment de l’auteur : l’intuition pro­fonde de Vati­can II était « que les fidèles par­ti­cipent [à la litur­gie] de façon consciente, active et fruc­tueuse » (Sacro­sanc­tum conci­lium, n. 11 ; cité par l’auteur). Dans son élan, le P. d’Orfeuil en vient à citer saint Tho­mas d’Aquin : « Les sacre­ments de la loi nou­velle sont en même temps signe et cause. C’est pour­quoi on dit qu’ils pro­duisent ce qu’ils expriment » (Somme théo­lo­gique IIIa Q. 62 art.1, ad 1, cité pp. 54–55). Et l’auteur de com­men­ter : « Un sacre­ment célé­bré dans une langue qui n’exprime plus rien pour les croyants se trouve donc gra­ve­ment défec­tueux. Pri­ver la parole litur­gique de sa signi­fi­ca­tion, c’est res­tau­rer un céré­mo­nial magique, ce qui serait le contraire du culte chré­tien. » Il nous semble qu’ici une confu­sion inquié­tante et dom­ma­geable s’est intro­duite : le signe, dont parle saint Tho­mas, n’évoque pas d’abord, loin s’en faut, la com­pré­hen­sion du sacre­ment qu’en a celui qui le reçoit ; mais il désigne l’élément visible du sacre­ment comme signe d’une réa­li­té invi­sible, sur­na­tu­relle. Que la vali­di­té du sacre­ment requière la foi de celui qui en est le béné­fi­ciaire et sa volon­té de le rece­voir ; que cer­tains des fruits du sacre­ment soient d’autant plus grands que la pié­té et la fer­veur sont au ren­dez-vous, voi­là qui est cer­tain. Mais à mettre l’accent de façon trop mar­quée sur la récep­tion du sacre­ment et sur la com­mu­nau­té, la théo­lo­gie sacra­men­taire, sous-jacente à une telle argu­men­ta­tion litur­gique – et à la pra­tique qui en découle –, outre une ambi­guï­té sur l’action ex opere ope­ra­to des sacre­ments, mécon­naît que la messe est aus­si sacri­fice, que la fina­li­té du sacre­ment n’est pas sim­ple­ment la sanc­ti­fi­ca­tion des fidèles mais encore le culte ren­du à Dieu, le culte de Jésus-Christ et de son Eglise – sanc­ti­fi­ca­tion et culte étant certes unis, mais cepen­dant dis­tincts. La com­mu­nion même des fidèles ne tient pas seule­ment dans la dimen­sion com­mu­nau­taire ici sur­éva­luée. Au final, on doute qu’on ait cla­ri­fié la nature même de la litur­gie, et ain­si aidé à une par­ti­ci­pa­tion consciente, active et fruc­tueuse.

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