Matthieu Rouillé d’Orfeuil : Histoire liturgique du XXe siècle. Enjeux et documents
Avec Dom Guéranger et le mouvement liturgique a commencé, selon le père Matthieu Rouillé d’Orfeuil, professeur de théologie sacramentaire au séminaire de Toulon, une étape inédite de la connaissance du culte chrétien : face aux critiques du rationalisme et de ce que l’on appellera les sciences humaines, l’Eglise s’est, pour la première fois, interrogée sur la nature même de la liturgie. Cette réflexion, toujours selon l’auteur, a remis en valeur la dimension communautaire et même participative de la liturgie, ce qui a conduit à une réforme, partielle d’abord (Semaine Sainte, sous Pie XII), puis globale (ce que l’on connaît aujourd’hui) des rites. A propos de cette thèse, on soulignera tout d’abord la présentation qu’elle fait de la réforme liturgique, ce qui la rend – la réforme – problématique : « L’histoire [a] imprim[é] à la réforme liturgique une autre tonalité » (p. 50) que celle envisagée par la lettre de la constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium, au nom de « l’intuition profonde de Vatican II » (p. 67). La raison se trouve dans les pressions des épiscopats, mais surtout dans le travail du Consilium chargé de l’exécution, caractérisé par la science et l’oecuménisme des liturgistes, comme par des expérimentations à la fois prudentes (par leur cadre) et audacieuses (par leur dépassement des textes), dont un « symptôme très clair », au dire de l’auteur, a été « [d’]ériger en norme de fait ce qui avait été prévu pour être une exception en droit » (p. 52, ce qui vise ici l’usage des langues vernaculaires). Mais alors, se demande-t-on, ne passe-t-on pas par pertes et profits la notion de développement homogène de la liturgie ?
Le second point problématique touche, lui, le raisonnement de l’auteur : l’intuition profonde de Vatican II était « que les fidèles participent [à la liturgie] de façon consciente, active et fructueuse » (Sacrosanctum concilium, n. 11 ; cité par l’auteur). Dans son élan, le P. d’Orfeuil en vient à citer saint Thomas d’Aquin : « Les sacrements de la loi nouvelle sont en même temps signe et cause. C’est pourquoi on dit qu’ils produisent ce qu’ils expriment » (Somme théologique IIIa Q. 62 art.1, ad 1, cité pp. 54–55). Et l’auteur de commenter : « Un sacrement célébré dans une langue qui n’exprime plus rien pour les croyants se trouve donc gravement défectueux. Priver la parole liturgique de sa signification, c’est restaurer un cérémonial magique, ce qui serait le contraire du culte chrétien. » Il nous semble qu’ici une confusion inquiétante et dommageable s’est introduite : le signe, dont parle saint Thomas, n’évoque pas d’abord, loin s’en faut, la compréhension du sacrement qu’en a celui qui le reçoit ; mais il désigne l’élément visible du sacrement comme signe d’une réalité invisible, surnaturelle. Que la validité du sacrement requière la foi de celui qui en est le bénéficiaire et sa volonté de le recevoir ; que certains des fruits du sacrement soient d’autant plus grands que la piété et la ferveur sont au rendez-vous, voilà qui est certain. Mais à mettre l’accent de façon trop marquée sur la réception du sacrement et sur la communauté, la théologie sacramentaire, sous-jacente à une telle argumentation liturgique – et à la pratique qui en découle –, outre une ambiguïté sur l’action ex opere operato des sacrements, méconnaît que la messe est aussi sacrifice, que la finalité du sacrement n’est pas simplement la sanctification des fidèles mais encore le culte rendu à Dieu, le culte de Jésus-Christ et de son Eglise – sanctification et culte étant certes unis, mais cependant distincts. La communion même des fidèles ne tient pas seulement dans la dimension communautaire ici surévaluée. Au final, on doute qu’on ait clarifié la nature même de la liturgie, et ainsi aidé à une participation consciente, active et fructueuse.