Revue de réflexion politique et religieuse.

René Cagnat : Du Dji­had aux larmes d’Allah. Afgha­nis­tan, les sept piliers de la bêtise

Article publié le 14 Fév 2013 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Ancien mili­taire, fin connais­seur de l’Asie cen­trale où il vit depuis de longues années (au Kir­ghi­zis­tan, où il a été consul hono­raire), René Cagnat a écrit de nom­breux articles, lar­ge­ment repris dans le pré­sent ouvrage, dans les­quels il a por­té un regard très cri­tique sur l’intervention amé­ri­caine – moins sur son prin­cipe que sur ses moyens et cer­tains de ses motifs dis­crets. Il explique l’inéluctable échec de la stra­té­gie des Amé­ri­cains d’abord par une inca­pa­ci­té à inté­grer les réa­li­tés d’un modèle men­tal et cultu­rel qui n’est pas le leur. Il constate éga­le­ment que cette inap­ti­tude qua­si ata­vique est lour­de­ment ren­for­cée par le contrôle hyper­cen­tra­li­sé des opé­ra­tions, qui limite de la manière la plus abso­lue les ini­tia­tives sur le ter­rain et engendre l’incapacité des com­bat­tants qui s’y trouvent déployés à com­prendre le contexte et à s’y adap­ter.
Paral­lè­le­ment, il constate que l’américanocentrisme se mani­feste dans toute l’Asie cen­trale : les sectes pro­tes­tantes réus­sissent dans les pays en paix leur implan­ta­tion avec beau­coup de volon­ta­risme, engen­drant une fureur « des cler­gés, musul­mans comme ortho­doxe ». L’imposition d’un modèle démo­cra­tique en Afgha­nis­tan, loin d’être une solu­tion sim­ple­ment pra­tique, au contraire, tra­duit un achar­ne­ment idéo­lo­gique contre des réa­li­tés aux­quelles les agents de l’hyperpuissance res­tent déses­pé­ré­ment imper­méables. L’auteur n’est pas tendre avec l’occupant. Par­lant des sol­dats déployés à Kaboul, il note qu’« une impres­sion de puis­sance obtuse et lourde éma­nait d’eux. A les voir, on ima­gi­nait qu’ils étaient inac­ces­sibles aux remords, aux cas de conscience, réduits à l’état d’hominidés sans âmes ».
Ajou­tons à ce sinistre spec­tacle le constat que les chefs de valeur, tels Stan­ley Mc-Chrys­tal et David Petraeus, capables d’infléchir les volon­tés de leurs chefs civils et les pen­chants de leurs conci­toyens, ont été sur le théâtre de véri­tables comètes. R. Cagnat com­pare les temps de leurs man­dats aux dix-huit années don­nées à Lyau­tey pour la paci­fi­ca­tion du Maroc. Il évoque aus­si lon­gue­ment Abd el-Kader, com­bat­tant d’honneur qui fut trai­té avec magna­ni­mi­té et en retour se fit dans son exil syrien le défen­seur des chré­tiens per­sé­cu­tés. Et de s’interroger : com­ment ima­gi­ner l’ombre d’un tel retour dans un pays où la dis­tance à l’occupé est aus­si abys­sale…
Par­mi les sept piliers de la bêtise que déve­loppe R. Cagnat, plu­sieurs relèvent direc­te­ment de la vision amé­ri­caine du monde. Les autres ont trait à l’argent : les indus­tries de l’armement et de la drogue sont à la fois des enjeux et des moteurs pour les opé­ra­tions. « Tra­di­tion­nel­le­ment, le chef mili­taire amé­ri­cain, sous l’influence de son lob­by mili­ta­ro-indus­triel, pri­vi­lé­gie une stra­té­gie de moyens. Face à une vio­lence il rétorque par une vio­lence tech­nique encore plus grande ». L’auteur note que cette poli­tique n’a pour effet que de mul­ti­plier les com­bat­tants adverses et de démul­ti­plier leur déter­mi­na­tion.
Quant à la drogue, dont il évoque très vague­ment la pos­si­bi­li­té que cer­taines agences gou­ver­ne­men­tales amé­ri­caines puissent y pui­ser quelques inté­rêts, elle est l’un des effets directs les plus ter­ri­fiants de l’intervention occi­den­tale. Entre 2000 et 2002 – date de la fin du ban­nis­se­ment du pavot par le mol­lah Omar – la récolte s’est mul­ti­pliée par six… et par qua­rante jusqu’à main­te­nant !
Enfin R. Cagnat s’interroge sur l’agressivité des Etats-Unis à l’égard des grandes puis­sances régio­nales, par­ti­cu­liè­re­ment de la Rus­sie, voyant dans sa stra­té­gie une volon­té de les affai­blir par rico­chet. Et pour­tant, mal­gré ses sévères cri­tiques, il semble vou­loir croire que la mosaïque d’Asie cen­trale puisse faire l’objet de poli­tiques étran­gères paci­fiées – d’un « très grand jeu » tout en coopé­ra­tion – notam­ment sous l’influence d’une indé­pen­dance de l’Europe retrou­vée et de son rap­pro­che­ment avec la Rus­sie. On ne peut que louer un tel opti­misme, même si pour le par­ta­ger il fau­drait pou­voir croire que l’Europe comme les Etats-Unis sont capables de chan­ge­ments très impor­tants et très rapides.

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