Revue de réflexion politique et religieuse.

L’irruption contrac­tua­liste dans les affaires mili­taires

Article publié le 21 Fév 2013 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Un édi­to­rial récent de la très sérieuse revue fran­çaise Droit social appelle de ses voeux une refon­da­tion de l’organisation des rela­tions sociales du tra­vail en les sou­met­tant plus lar­ge­ment au com­mon law plu­tôt qu’au civil law ((.  « Droit social : pour­quoi et com­ment le refon­der ? » par Jacques Bar­the­le­my et Gil­bert Cette, in Droit social, sep­tembre 2012.)) . Il s’agirait de pri­vi­lé­gier une régu­la­tion des rap­ports sociaux basée sur l’accord entre les par­ties (par contrat) plu­tôt que sur une régle­men­ta­tion à carac­tère géné­ral s’imposant à elles. Il n’est pas anec­do­tique que cette évo­lu­tion soit jus­ti­fiée pour ses auteurs par la « démons­tra­tion » sta­tis­tique que des rela­tions conven­tion­nelles seraient plus favo­rables à la crois­sance éco­no­mique que celles enca­drées par un cor­pus régle­men­taire. Sans pré­ju­dice du carac­tère fra­gile de cette démons­tra­tion (ce que recon­naissent d’ailleurs hon­nê­te­ment les auteurs), qui fait sus­pec­ter un par­ti pris idéo­lo­gique, on est frap­pé par l’utilitarisme de court terme qu’elle révèle. Mais ce qui sus­cite l’interrogation et l’étonnement est sur­tout que le choix se limite à cette alter­na­tive : contrac­tua­li­sa­tion pri­vée ou régle­men­ta­tion publique, comme si les rap­ports entre les per­sonnes ne pou­vaient s’établir sur d’autres fon­de­ments que celui de l’affrontement plus ou moins régle­men­té de leurs inté­rêts par­ti­cu­liers.
De fait, avec le mou­ve­ment actuel de pri­va­ti­sa­tion reje­tant avec les formes tra­di­tion­nelles de l’Etat moderne toute ins­ti­tu­tion, tout a ten­dance aujourd’hui à deve­nir uni­que­ment contrac­tuel, y com­pris même des choses aus­si fon­da­men­tales que la famille, voire l’appartenance reli­gieuse. La Défense n’échappe pas à cette évo­lu­tion, qui y est par­ti­cu­liè­re­ment dan­ge­reuse, qu’il s’agisse du rap­port de l’institution avec la nation, de ses fina­li­tés ou des rap­ports en son sein.

Vers une géné­ra­li­sa­tion du contrac­tua­lisme

Nos socié­tés occi­den­tales contem­po­raines baignent sans même plus le savoir encore dans une concep­tion indi­vi­dua­liste et idéa­liste du monde qu’il est sans doute reve­nu à Guillaume d’Occam de reprendre, de sys­té­ma­ti­ser et d’adapter aux défis de la moder­ni­té nais­sante. Il en résulte prin­ci­pa­le­ment, pour ce qui nous inté­resse ici que ni la socié­té ni l’Etat, ni aucune « orga­ni­sa­tion col­lec­tive » ou rela­tion per­son­nelle n’existent qui ne soient le fruit d’une déci­sion des indi­vi­dus. Il n’y a donc pas d’institutions natu­relles, c’est-à-dire consti­tu­tives de la nature humaine et ordon­nées à son plein accom­plis­se­ment ((. On ren­voie sur ce point aux très éclai­rantes ana­lyses de Michel Vil­ley, par exemple dans le livre issu de ses cours de phi­lo­so­phie du droit, La for­ma­tion de la pen­sée juri­dique moderne, PUF, 2003.)) . La socié­té humaine n’est pas une don­née natu­relle et bonne qui s’impose à nous, mais le fruit d’un contrat, le pre­mier contrat, fon­da­teur de tous les autres. L’homme n’est donc pas davan­tage un « ani­mal poli­tique », comme le montre saint Tho­mas d’Aquin après Aris­tote. C’est son inté­rêt seul qui a conduit l’individu à accep­ter l’existence de l’Etat dans ses dif­fé­rentes mani­fes­ta­tions, dont l’« outil de défense ». Pour Hobbes, comme on le sait, l’homme est un loup pour l’homme et l’adhésion à la socié­té, l’acceptation de l’Etat, est fina­le­ment un pis-aller, une réduc­tion à regret de nos liber­tés indi­vi­duelles pour pro­té­ger notre exis­tence. C’est un moindre mal qu’il convient donc de réduire au strict mini­mum. De là le carac­tère qua­si com­pul­sif de la réac­tion du citoyen face à l’Etat dans les socié­tés construites sur son ins­pi­ra­tion, glo­ba­le­ment les anglo-saxonnes : « I want my money back », c’est-à-dire la méfiance sys­té­ma­tique face aux dépenses publiques quelles qu’elles soient, qui sont tou­jours consi­dé­rées comme une atteinte à notre bien-être indi­vi­duel. Il convient que la dépense soit tou­jours jus­ti­fiée, et au-delà, parce que par hypo­thèse, c’est certes un moindre mal, mais un mal quand même.
Cette réac­tion est évi­dem­ment éten­due aux dépenses de défense, alors que par défi­ni­tion, elles se prêtent dif­fi­ci­le­ment à cette jus­ti­fi­ca­tion de court terme. Cela est vrai dans une logique d’emploi car la guerre est essen­tiel­le­ment mar­quée par l’incertitude : qui est l’ennemi, quels sont ses moyens, quelle est sa déter­mi­na­tion ? Etc. Et la consti­tu­tion de l’outil de défense, a for­tio­ri dans nos civi­li­sa­tions tech­ni­ciennes de masse, demande avant tout du temps pour déployer ses effets…
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