Alain de Benoist : Mémoire vive. Entretiens avec François Bousquet
Ce très dense livre d’entretiens présente un net intérêt pour comprendre l’ambiance politique d’une partie de la jeunesse autour de la fin de la guerre civile en Algérie et en Métropole, à partir de 1960. Il éclaire sur la personnalité intellectuelle de l’auteur. Enfin, il développe, dans un chapitre central, des considérations de méthode qui méritent d’être détaillées. En outre il renseigne sur une foule de détails, aussi bien biographiques que dans toutes sortes de domaines, cela en raison de l’encyclopédisme et de la mémoire, réellement vive de l’auteur. Sur le premier point, la période de militantisme au sein de la Fédération des Etudiants nationalistes, les souvenirs évoqués offrent un contraste avec beaucoup de comportements actuels à égalité d’âge. La FEN, comme d’autres organisations plus ou moins patriotiques, fonctionna comme un creuset de formation au dévouement extrêmement exigeant, malheureusement au service d’objectifs imprécis quoique voulus comme radicaux, ce qui explique peut-être pour une part l’évolution ultérieure de certains. On notera que l’engagement personnel d’Alain de Benoist dans le combat politique de l’époque n’était pas motivé par la volonté de sauver l’Algérie française mais plutôt par une forme de romantisme sans objet très déterminé. Il se déclare d’ailleurs, a posteriori, partisan de l’indépendance et heureux de s’être entretenu avec Ben Bella.
La personnalité intellectuelle apparaît tout au long du livre, autour de quelques thèmes et traits redondants : volonté de se tenir à l’écart de l’action politique dès la fin de l’épisode FEN, hostilité théorique au christianisme (à partir de l’adolescence et toujours plus), très grand éclectisme. A ce sujet on est surpris par la remarque de François Bousquet, à la fin de ces entretiens : « L’une des choses les plus frappantes dans votre itinéraire intellectuel, c’est l’impression de cohérence qui se dégage de lui ». Cohérence subjective, peut-être, mais nettement moins quant aux contenus, en perpétuelle redéfinition au gré des lectures innombrables et des rencontres les plus variées. Le « chemin de pensée » qui tient lieu de chapitre 4 commence par l’énoncé d’une nécessité paradoxale en comparaison de cet éclectisme : « Si l’on se réclame d’une véritable conception du monde, alors on doit être capable d’en déceler les applications dans tous les domaines de la pensée et du savoir ». C’est le fait d’être « idéologiquement structuré ». A. de Benoist plaide pour l’effort pluridisciplinaire, à la suite de Jules Monnerot qui réclamait des « coordinateurs-synthéticiens ». Et encore pour une connaissance des parties en présence et pas seulement des auteurs de son propre camp : « L’esprit partisan veut ignorer cela. La plupart des gens ne lisent que ce avec quoi ils se sentent d’accord. Cela leur donne du plaisir et cela les rassure ». Dans la même veine, A. de Benoist n’a guère d’estime pour tous ceux qui se veulent les disciples d’un seul maître et n’aiment pas la disputatio. Toutes choses sur lesquelles on ne peut que tomber d’accord.